la ournée du ochon

 

Dans les années 50, chaque vigneron élevait un à deux cochons chaque année.
Dans le cochon tout est bon, disait-on ! Les viandes salées, les saucissons et jambons servaient à nourrir la famille, les commis, les voisins et amis venus aider lors des gros travaux de la vigne. On mangeait de belles tranches de jambon pour les foins.
L'hiver, les veillées se terminaient toujours en mangeant un saucisson chaud cuit à l'eau. Aussi très apprécié, le repas gaufres, saucisson chaud et fromage blanc battu.

 

 

Les petits cochons étaient achetés au printemps, à la foire du 1er mai. A Gorge de Loup, le "cochonnier" donnait sur un enclos situé dans un coin de la cour, si bien que les cochons pouvaient s'ébattre en toute liberté. Ils étaient nourris avec le petit lait des fromages, de petites pommes de terre cuites dans la chaudière, de grosses courgettes, des épluchures...

Avec la fin de l'automne et avec la venue de l'hiver, arrivait l'heure du sacrifice. Le rendez-vous était pris avec le tueur de cochon après consultation du calendrier lunaire et cela pour une bonne conservation de la viande.
La veille, les préparatifs allaient bon train : nettoyage du saloir, installation des tables sur tréteaux pour ranger et travailler la viande, préparation des récipients, du bois pour la chaudière... et ce jour-là, le cochon jeûnait.

 

 

Le jour dit, la maison était en effervescence très tôt le matin, on allumait la chaudière où l'eau était mise à chauffer. Après avoir bu une tasse de café avec la goutte, le tueur (entre autres, le père Genillon des Marcellins), sortait ses outils : couteaux bien affûtés, hachoir etc, puis, il se dirigeait vers le "cochonnier" et en sortait en poussant devant lui le cochon, le plus gros (entre 110 et 140 kg), retenu par une corde à la patte arrière. Celui-ci était saisi et couché, les deux pattes arrière attachées ensemble à une roue de charrette. Le cochon se trouvait ainsi légèrement incliné. Le tueur se tenait face à la bête, une jambe de chaque côté et d'un geste rapide et précis, il lui enfonçait un long couteau dans le cou. Les couinements du cochon semblaient interminables. Le sang jaillissait ; ma mère, qui s'était approchée avec une poêle, se mettait à battre vigoureusement avec un bouquet de thym le sang recueilli pour éviter que celui-ci ne coagule.

 

 

Le sang était versé dans un faitout et transporté dans la cuisine. Là étaient ajoutés de la semoule cuite dans du lait, des épinards, des châtaignes qui avaient été cuites et épluchées la veille ainsi que des pommes passées au hachoir fixé sur la table dont on aimait tourner la manivelle, parfois des biscuits à la cuillère, de la graisse fondue... pas d'oignons, mon père n'aimait pas, le tout bien malaxé à la main. Sel et poivre seront ajoutés par le tueur.

Pendant ce temps, le cochon était buclé : recouvert de paille que l'on faisait brûler rapidement et cela sur chaque côté. Il était débarrassé des cendres avec le balai de bouleau puis le tueur raclait les poils à l'aide d'un couteau et le rinçait à l'eau chaude. La tête coupée, séparée en deux, était mise dans un seau d'eau. Les pattes arrière étaient attachées au bayart * qui sera relevé et appuyé contre le mur. Ensuite, le cochon était ouvert de haut en bas, les boyaux en étaient sortis. L'intestin grêle raclé et nettoyé à l'eau sera utilisé pour la fabrication des boudins et le gros intestin pour les saucissons. Avec les boyaux ainsi prêts, le tueur venait à la cuisine pour les remplir de la préparation, avec précaution à l'aide d'un entonnoir et d'une louche. Ils les attachaient soigneusement et les mettait à cuire dans la chaudière. Un fois cuits, ils étaient mis à refroidir sur la planche qui servait à laver le linge. Une portion de boudin accompagnée d'un morceau de graisse, la panne, de foie et poumon, composait la fricassée prête à être distribuée à la famille, voisins et amis. Ces derniers ne manqueront pas de nous la rendre lorsqu'ils tueront, à leur tour, le cochon. Moment convivial qui permettait de se retrouver autour d'une tasse de café pour les femmes ou d'une tassée de vin à la cave pour les hommes.

* bayart : sorte de lit de repos à pieds ayant brancard devant et derrière, pour transporter un malade ou un blessé, soit une civière à pieds servant au transport des meubles, etc. Le bayart est une sorte de petit tombereau ayant deux brancards comme une civière, et servant à transporter du mortier et autres objets.

 

 

Les abats étaient mis de côté, on soufflait dans les poumons pour éviter qu'ils ne noircissent, le cochon était coupé en deux puis chaque moitié était débitée en morceaux.
Les morceaux de foie, de cœur et de rognons, coupés finement se retrouvaient emprisonnés dans la voilette pour former les boulettes qui seront rôties au four et servies avec une purée de pommes de terre. Les morceaux de poumons seront mijotés dans une sauce au vin.

 

 

 

Un, voire deux jambons étaient gardés entiers, frottés au sel puis séchés à la cave. Lard, petits paquets de couennes bien ficelées, côtelettes, certains os encore entourés d'un peu de viande, la queue, les pieds attendraient le lendemain pour être mis dans le saloir en grès qui sera frotté à l'ail. Dans un ordre précis, chaque rangée de viande était recouverte d'une épaisse couche de gros sel, puis on fermait avec le couvercle. Seul un rôti ou deux était gardé pour être mangé rapidement. Toutes les autres viandes étaient coupées en morceaux avant d'être hachées et devenir la mêlée pour les saucissons, rosettes et jésus. Ceux-ci seront mis à sécher, accrochés à des perches dans la cuisine, au dessus de la cuisinière à bois, pendant une dizaine de jours avant de terminer leur affinage dans la cave.
La panne coupée en morceaux était cuite dans sa graisse fondue, pour devenir des grattons. La graisse refroidie, le saindoux, était mise dans des pots en grès et servait pour la cuisine.
La tête était cuite longuement avec carottes, thym, laurier, sel et poivre. Une fois désossée, la viande obtenue était répartie dans un torchon, roulée et ficelée pour obtenir de la tête roulée. Ma mère en mettait aussi dans de grands bols.
Pendant quelques jours, la maison se trouvera bien imprégnée de senteurs de cochonnailles.

 

 

Une longue journée bien remplie s'achevait, celle-ci avait été ponctuée par des pauses casse-croûte, quelques tassées de vin et de verres de gnôle ainsi qu'un repas copieux confectionné par la maîtresse de maison.
Et, tous les gens du hameau savaient que ce jour là, le père Mathon avait tué le "caïon"...

 

Lu dans "Paroles de St-Lageois / En Beaujolais de 1940 à 1970"

 

 

la mort du cochon...
à Villard Léger (Savoie)
la mort du cochon...
à St Léger sous Cholet (Maine et Loire)

  

 des recettes de cuisine
"La" Louise

 

 

 

 

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