Février 1944 à Saint Léger Vauban (1/2)

 

 

 

Le Rat-Vougeot
Bulletin municipal de Saint Léger Vauban
Hors Série - Février 2002

 

La faculté d'oubli est-elle bénéfique ou pernicieuse ?
Dans l'ordre des choses il est heureux que le bleu et le rose effacent le gris et le noir.
Mais, si nous n'y prenons garde, s'estomperaient, disparaîtraient nos repères.
Aujourd'hui, le Rat-Vougeot époussette cette poudre aux yeux. De la mémoire du village surgit le mois de février 1944...

Pour que les événements d'alors ne sombrent dans la nuit des temps, ce numéro hors série en rappelle quelques-uns.
Après tant d'années, celles et ceux qui ont bien voulu s'exprimer ont dû surmonter leur peine. Certains parlent les larmes aux yeux, tous avec mesure.
Ils disent ce qui fut force et réconfort à une époque où, un feldkommandant donnait instruction au Préfet de révoquer le maire, la milice se substituait à la police, les francistes de BUCARD sévissaient.

A l'autre bout de l'horizon, ils évoquent les misères endurées : dénonciations, rafles, emprisonnements, tortures, déportations, exécutions.
Au delà, et pour me bien situer dans la vérité historique, j'ai lu bien des ouvrages, frappé à bien des portes, recherché et trouvé le réconfort de ceux faisant autorité en la matière.
Je m'en suis tenu à l'énumération des faits. Strictement.
Ce travail de mémoire accompli me fait encore mieux aimer mon village d'adoption.
La Paix y règne.
Une Paix qui ne doit pas rejeter dans l'oubli ceux qui, pour elle, ont combattu, souffert, et, même, sacrifié leur vie.
Ils n'ont recherché ni honneurs, ni récompenses. Qu'ils trouvent ici l'hommage reconnaissant et respectueux leur revenant.

Camille LEBOSSÉ

 

 

Les évènements à Saint Léger Vauban

 

A son échelle, Saint Léger Vauban endurait tout cela. Durement, chèrement. Le sinistre bilan des conséquences de la rafle du 2 février 1944 et des arrestations qui suivirent jusqu'au 15 février 1944, à Saint Léger même ou les proches environs, s'établit, d'après Armand SIMONNOT que nous citons, à 10 morts, 3 déportés rapatriés, 8 prisonniers relâchés.

 

Arrestations du 2 février (certaines)

Rapatrié : Monsieur BRIZARD Marie (Ruères) - FTPF Vauban déporté à Auschwitz puis Buchenwald

Rapatriée : Madame BRIZARD Marthe (épouse de Marie) - FTPF Vauban déportée à Ravensbrück-Schliben

1 mort en déportation : RIMBERT René - FTPF Vauban -lors de la marche forcée vers DORA

4 fusillés à Auxerre le 15 mars (N.D.L.R. après l'incident de Moulin Colas) : BLIN André - DION Julien - GIRARD Serge - HALK André

 

Arrestations du 2 au 15 février

Monsieur VICTOR Marcel - condamné à plusieurs années de travaux forcés en usine de guerre - décédé après sa libération en arrivant à la frontière française

1 mort sous bombardement : Monsieur NOEL Georges - même condamnation que VICTOR Marcel

1 rapatrié : Monsieur BRIZARD Louis - même condamnation que VICTOR Marcel

1 mort : Monsieur LORIOT Roger (Saint Agnan) - abattu par les Allemands alors qu'il s'enfuyait de sa maison (cousin d'Armand SIMONNOT)

2 morts : Monsieur et Madame MULLER Pierre, assassinés par les francistes de Bucard

 

8 arrêtés et emprisonnés à Auxerre, relâchés après 15 jours à 1 mois de prison

Mesdemoiselles BRIZARD Andrée et Renée, BRIZARD Fernand, Docteur Henri CHEVILLOTTE, COLLAS André, LURIAU Eugène, ROULOT Alphonse, VALTAT Roger

 

Avant ce sinistre mois de février 1944 la police et la feldgendarmerie avaient investi l'Abbaye le 7 décembre 1943 à la recherche de tracts - Mitrailleuses en batterie - Communauté rassemblée dans la salle du chapitre - Fouille sans résultats.

Ce fut pire le 31 décembre 1943.
Ce jour-là, l'Abbaye n'était pas seule visée.

Des troupes, en majorité des Russes blancs, au nombre de 200 à 300, vont encercler les fermes et les hameaux voisins.
Quant à la ferme des Roubeaux dépendant de la Pierre qui Vire, dans la panique, un jeune réfractaire au S.T.O. sera blessé d'une rafale de mitraillette. Il décèdera quelques jours plus tard à Montbard. Tout le monde est plaqué au mur sous un froid glacial. Les coups pleuvent.
Frère Georges débloqua cette situation en expliquant à l'officier que les jeunes présents à la ferme n'étaient pas des résistants mais des réfractaires au S.T.O.
Tout le groupe fut embarqué pour Montbard où interviendra le Père Prieur Nicolas PERRIER qui réussit à faire relâcher tout le monde, sauf André BESSON, le blessé, qui ne survivra pas.

Revenons en à Armand SIMONNOT (THEO) :

En janvier 1944 il est responsable F.T.P.F. du secteur Avallonnais-Morvan.
Fin 1943, il avait accueilli à la Provenchère le groupe qui avait été durement accroché à Ancy le Franc. Pour des raisons de sécurité, les responsables avaient donné ordre de quitter le secteur de Ravières pour le Morvan. Après un court séjour à la Provenchère, ce fut l'installation à la chapelle Saint Pierre, commune de Saint Agnan.

 

 

 

le lac de Saint Agnan (Nièvre)

et, non loin, la chapelle Saint Pierre

http://www.patrimoinedumorvan.org/

 

Début et fin janvier 1944, sans avoir prévenu THEO, le chef du maquis Vauban et ses adjoints effectuent une descente chez les époux MULLER, à la Bécasse, puis chez les époux KIEFFER au Moulin de Ruères, où, le 30 janvier, THEO a des travaux à effectuer. Il y trouve la jeune employée qui lui déclare: "Mes patrons m'ont laissé la garde de la maison, ils sont partis à Auxerre* et ne reviendront pas maintenant". Pour sa sécurité et pressentant le drame imminent, il ne dort plus à la maison BRIZARD, ce qui le sauvera.

Le 1er février, il accomplit une mission à Quarré.

Le 2 février, il échappe aux Allemands venus l'arrêter et regagne la chapelle Saint Pierre.

Le 4 février, il revient à Ruères avec trois compagnons. Il s'inquiète de l'arrestation de son patron, Marie BRIZARD et de son épouse, rencontre Andrée et Renée BRIZARD qui leur déconseillent d'aller au Moulin de Ruères gardé par des hommes en armes. En fait, un seul s'y trouve. Fait prisonnier il est amené à la chapelle Saint Pierre. Le dénommé T.......... salue à l'Hitlérienne. C'est l'un des premiers compagnons de Bucard qui veut instaurer l'ordre nouveau.
Il se trouvait au moulin, car Madame KIEFFER avait demandé à FICHTER son frère - qui autrefois habitait ici, alors administrateur au parti Franciste - d'envoyer des hommes pour garder sa maison.
Les ordres du Comité Régional des F.T.P.F parvinrent 3 jours après. T.......... fut exécuté.

Le 6 ou le 7 février, un groupe du maquis Vauban incendia le Moulin de Ruères afin qu'il ne puisse plus servir de repaire à l'ennemi.
Violentes furent les réactions. Allemands, Miliciens, Francistes se déchaînèrent.
Mais les structures municipales et monastiques pour ébranlées qu'elles furent gardèrent calme et courage et se montrèrent l'une et l'autre tout à leur avantage.

*Ils se trouvaient alors au bar PIERRE, rue du Temple, siège de la police anti-terroristes.

 

 la chapelle Saint Pierre, photographiée en mars 2007 par Maryse Rozerot, de St Léger de Fourches

 

la Municipalité

Pour le maire arrêté puis libéré, le Préfet reçoit l'ordre du Feldkommandant d'Auxerre de le révoquer pour "avoir été compromis dans les incidents de Saint Léger".

Sur le registre des délibérations du conseil municipal, le 1l mars, ceci, de la main du Docteur CHEVILLOTTE : "C'est dans ces conditions que le soussigné, rédacteur de ces lignes, est contraint d'abandonner ses fonctions qu'il tenait, depuis près de quinze années, de la confiance des électeurs de la commune et de celle de ses collègues du conseil municipal".

Dans sa séance du 9 avril 1944, le conseil municipal prend connaissance de l'arrêté préfectoral du 18 mars. En remplacement du docteur CHEVILLOTTE Henri, démissionnaire d'office, sont délégués, pour assurer les fonctions de Maire MILLOT Ferdinand et BIERRY Honoré dans les fonctions d'adjoint.

A même date, après l'installation du bureau, et avant de passer à l'ordre du jour, le conseil est saisi d'une motion qui sera votée à l'unanimité.
Admirable texte allant de l'indéfectible attachement à son ancien président à la méritoire abnégation de son successeur désigné et se terminant par le vœu de voir BRIZARD Fernand, emprisonné depuis plus de deux mois, reprendre ses fonctions. Les neuf habitants de la commune partageant son infortune ne sont pas oubliés. Une cordiale pensée, l'expression de toute la sympathie du conseil, sont adressées à leurs familles.
Le docteur CHEVILLOTTE fut rétabli le 31 octobre 1944, son adjoint sera MILLOT Ferdinand, VALTAT Ernest ayant démissionné pour raisons de santé. Le docteur CHEVILLOTTE fut réélu en avril 1945 et devint à nouveau maire le 18 mai 1945. Etaient également au conseil municipal : SIMONNOT Armand (THEO) - RIMBERT Jean, père de RIMBERT René, mort en déportation.

 

février 1944 - le maquis Vauban dans la neige du Morvan

le parcours d'Armand Simonnot ici

 

l'Abbaye de la Pierre qui Vire

Le Père Abbé, Fulbert GLORIES, venu d'EN-CALCAT, avait été élu en 1922.
Le Père Prieur, Nicolas PERRIER, citoyen suisse, ex-diplomate, fut à plusieurs reprises d'une aide précieuse, à commencer par le 10 février 1944.
Pendant le repas de midi, les Allemands sont là. Armés, accompagnés de miliciens, ils entrent au réfectoire. Les cellules des moines sont perquisitionnées par les miliciens. L'alerte a été chaude !
 

Tout ce qu'endure l'Abbaye est connu de la population de Saint Léger Vauban qui partage avec la communauté bénédictine les mêmes inquiétudes, les mêmes souffrances, les mêmes espérances. En ces temps troublés, l'Abbaye réconforte par sa présence, son rayonnement, son indépendance, son action humaniste et évangélique. Elle a renoué avec l'antique pratique du droit d'asile (Réfractaires au S.T.O. - Aviateurs alliés - Juifs).
A la Libération, elle bénéficiera auprès des autorités et des patriotes et résistants locaux d'une bonne renommée due au fait des actions individuelles ou collectives qui y furent menées.

 

 

Nous en terminerons par deux témoignages et deux hommages.
Ecoutons les déclarations de Madame CHIROL de Ruères, fille cadette de Marie et Marthe BRIZARD ; de Raymond BRIZARD (aucune parenté avec les précédents) du Bon Rupt, avant d'en venir aux hommages rendus à René RIMBERT et Albert VISINAND.

 

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