istorique
de l'affaire de la soeur Saint-Léon
institutrice à Saint-Léger
Vauban
par D. Marchand, notaire
à St Léger-Vauban
Membre de la Chambre de discipline des Notaires de
l'arrondissement d'Avallon
Maire révoqué
1877
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AVANT-PROPOS
En promettant au public la relation
du procès de la Soeur Saint-Léon de la
Sainte-Enfance, je ne me suis proposé autre chose que
de fournir des matériaux à l'histoire.
Ne faisant plus, pour l'instant, partie de l'Administration,
je me crois dégagé de tout scrupule et
obligé en conscience de présenter à la
face du pays l'ensemble d'une affaire qui n'est rien en
elle-même, mais dont les partis se sont emparés
pour en faire une affaire monstrueuse et gigantesque.
On ne doit donc pas s'attendre à trouver dans ce
Recueil de grandes réflexions sur la moralité
des faits qui y sont relatés ; les seules
règles que je me sois imposées, c'est la
fidélité et l'impartialité dans la
narration. Je ferai tous mes efforts pour remplir ces deux
conditions, les seules que le public soit raisonnablement en
droit d'exiger de moi ; c'est déclarer en même
temps d'avance que je ne déguiserai rien, et que ce
n'est pas à moi qu'il faudrait s'en prendre si la
vérité venait à offenser.
D.
MARCHAND
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historique de l'affaire
de la Soeur Saint-Léon
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Saint-Léger-Vauban est une commune de
l'arrondissement d'Avallon, située sur le sommet d'une
très haute colline, à 63 kilomètres d'Auxerre,
22 kilomètres d'AvalIon et 5 kilomètres de
Quarré-les-Tombes.
Cette commune, dont la population est de 1 348 habitants, est la
patrie du maréchal Vauban ; elle a vu naître M. Louis
Tripier, docteur en droit et l'auteur des codes Tripier, et a
l'insigne honneur de posséder aujourd'hui le monastère
de Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire.
C'est dans cette commune du Morvand qu'est
venue s'installer au commencement de l'année 1860, comme
institutrice libre d'abord, et ensuite comme institutrice communale,
Madame Marie Gally, en religion soeur Saint-Léon, de la
Sainte-Enfance, dont la maison-mère est à
Sainte-Colombe, près Sens, en compagnie de deux autres dames
religieuses, parmi lesquelles se trouvait la soeur
Sainte-Marie-Magdeleine, sa vénérée et
inséparable mère supérieure.
La soeur Saint-Léon est âgée de 39 ans, d'une
famille des plus honorables de l'Avallonnais ; elle est bonne, elle
est franche et elle était remplie de zèle et de
dévouement pour ses chères petites filles qu'elle
aimait tant ; aussi comprendra-t-on facilement le mouvement
d'indignation qui s'est soulevé contre l'acte odieux
d'accusation de cette estimable soeur, et les marques vives de
sympathies en sa faveur qui se sont produites de la part des
honnêtes gens.
Le 31 janvier 1877, M. Albert Petit,
Sous-Inspecteur des Enfants-Assistés de la Seine, en
résidence à Avallon, vint me trouver pour me demander
des renseignements sur une élève du nom de Henriette
Quénault, âgée de 8 ans, soumise à sa
surveillance, qui aurait été grièvement
brûlée dans la classe communale de
Saint-Léger-Vauban, dirigée par la soeur
Saint-Léon ; M. Petit était muni d'une lettre de M. le
docteur Simon qui lui signalait le fait, et qui lui annonçait
que cette affaire faisait beaucoup de bruit et de tapage dans la
commune ; comme j'ignorais complètement le fait signalé
par M. le docteur Simon, je le déclarai à M. Petit et
le priai, pendant qu'il était sur les lieux, de voir les dames
religieuses et de prendre lui-même des renseignements, lui
promettant que de mon côté j'allais prendre aussi des
renseignements pour les lui transmettre ensuite dans le cas où
il y aurait utilité; je me renseignai aussitôt, et
j'acquis la certitude que l'affaire dont parlait M. le docteur Simon
n'était rien ; aussi le lendemain, jour du tirage à
Quarré-les-Tombes, je vis M. le Sous-Préfet et M.
l'Inspecteur des écoles, et j'avoue que l'idée ne me
vint pas à l'esprit d'en parler à ces Messieurs.
Depuis, il m'a été dit que le jour du tirage à
Quarré-les-Tombes, M. le Sous-Préfet avait connaissance
des bruits qui circulaient, à la suite du signalement du fait
par M. le docteur Simon, et que, tout en me demandant s'il y avait
quelque chose de nouveau dans ma commune, se serait bien gardé
de me parler de ces bruits ; j'en ai conclu que M. le
Sous-Préfet ne voulait pas s'éclairer.
lettre de M. Petit,
sous-inspecteur à Avallon, à M. Marchand,
maire de Saint-Léger-Vauban
|
Avallon, le 3
février 1877
Monsieur le Maire,
J'ai
eu l'honneur de m'entretenir avec vous, le 30
janvier dernier, d'un fait qui se serait
passé à l'école des soeurs de
Saint-Léger, ou une enfant aurait
été assise par punition sur le
poêle, et brûlée
grièvement. Vous n'avez pu me donner des
renseignements au sujet de cette affaire que vous
ignoriez, mais vous m'avez annoncé
l'intention d'ouvrir une enquête à ce
sujet.
Je reçois aujourd'hui une
dépêche de M. le Directeur
général de l'Assistance publique qui
me demande un rapport détaillé sur le
fait dont il s'agit. Je vous serai donc
très-obligé, Monsieur le Maire, de
vouloir bien ouvrir votre enquête sans
retard, et de m'en faire connaître le
résultat le plus promptement possible, afin
que je puisse le transmettre à M. le
Directeur de l'Assistance publique.
Agréez, Monsieur le Maire, l'expression de
mes sentiments les plus distingués.
Signé :
PETIT
|
|
En présence de cette lettre, je me
disposais à adresser à M. Petit le rapport qu'il
sollicitait ; mais je désirais au préalable me
renseigner auprès de M. le docteur Simon qui avait
signalé une brûlure grave à l'attention de
l'administration de l'Assistance publique.
Le 5 février 1877, vers 10 heures du matin, je priai M. le
docteur Simon d'entrer chez moi pour me fournir des explications
relatives à cette brûlure. M. le docteur Simon ne me
paraissait pas très-rassuré, et au moment où
j'allais engager la conversation, il me fit cette question :
"Vous voulez me
parler de l'affaire des religieuses ?"
Je lui répondis affirmativement, et j'ajoutai que je ne
comprenais rien à cette affaire ; M. Simon me parut un instant
embarrassé et finit par me dire qu'elle n'était pas
bien grave ; j'ai remarqué dès ce moment qu'il avait
conscience de sa démarche prématurée près
de l'administration de l'Assistance publique ; M. Simon m'ayant
annoncé l'arrivée à Saint-Léger-Vauban de
M. l'Inspecteur général de l'Assistance publique et de
M. Petit pour faire une enquête, je lui ai
déclaré que j'étais désolé de ne
pouvoir me trouver avec ces messieurs, car j'étais attendu
à 11 heures à Sainte-Magnance pour recevoir en ma
qualité de notaire, un acte de famille.
enquête de M.
l'Inspecteur général de Paris
|
En effet, M. l'Inspecteur de Paris et M.
Petit sont arrivés dans la journée à
Saint-Léger-Vauban ; ces messieurs sont venus une
première fois chez moi, et ne me trouvant pas, ils sont
revenus une seconde fois vers 4 heures du soir ; n'étant pas
encore de retour, M. l'Inspecteur de Paris jugea néanmoins
à propos de voir Mme Marchand pour lui demander quelques
renseignements relatifs à la soeur Saint-Léon et
à l'enfant soi-disant brûlée ; dans le cours de
la conversation, Mme Marchand fit cette demande à M.
l'Inspecteur de Paris : "Est-ce
qu'elle a beaucoup de mal, cette enfant ?"
"Elle n'a
rien, répondit aussitôt
M. l'Inspecteur, elle
a bien eu une petite brûlure, insignifiante, mais qui n'est
rien." Au bout de quelques instants,
ces messieurs se sont retirés ; Mme Marchand a remarqué
que M. l'Inspecteur de Paris avait une excellente opinion de la soeur
Saint-Léon, car dans la conversation il a prononcé
à son adresse les paroles les plus élogieuses.
Après cette enquête, et ayant la certitude que M.
l'Inspecteur de Paris appréciait le fait de la brûlure
comme je l'appréciais moi-même, je pensais qu'il n'en
serait plus question.
enquête de M. le
Brigadier de gendarmerie de
Quarré-les-Tombes
|
Le 7 février, c'est-à-dire
deux jours après l'enquête de M. l'Inspecteur de Paris,
une nouvelle enquête a eu lieu à
Saint-Léger-Vauban par M. le brigadier de la gendarmerie de
Quarré-les-Tombes, et n'a rien révélé de
nouveau contre la soeur Saint-Léon ; je puis même
avancer ceci, c'est que le soir de l'enquête, je rencontrai
à un kilomètre de Saint-Léger-Vauban M. le
lieutenant de gendarmerie qui me déclara venir de
Quarré et ensuite de Saint-Léger-Vauban pour faire
faire une enquête par son brigadier ; je lui fis part de mon
étonnement de ces enquêtes faites à raison d'une
brûlure qui n'était, à n'en pas douter, qu'un
prétexte ; aussi ai-je constaté en nous séparant
que cet honorable officier ne paraissait pas apporter la moindre
importance à cette affaire aussi ridicule que grotesque.
enquête de M.
l'Inspecteur des écoles en ma
présence
|
Le lendemain 8 février, M.
l'Inspecteur primaire d'Avallon me fit demander à la maison
d'école ; j'y allai et, en ma présence, ce
fonctionnaire fit une enquête ; il questionna la soeur
Saint-Léon et environ huit ou dix petites filles, des plus
âgées.
La soeur Saint-Léon nous a expliqué que les petites
filles Quénault et Hénault se disputaient ensemble,
qu'après les avoir déjà séparées
deux fois, sans pouvoir obtenir du silence, elle les fit venir vers
elle près du poêle sur lequel elle était
appuyée, pour faire une dictée, et qu'elle les aurait
élevées successivement au-dessus du poêle pour
leur faire honte, et le temps seulement de leur demander :
"Vas-tu être
sage ?" et d'obtenir leur
réponse ;
Que la petite Quénault aurait pleuré avant d'être
élevée au-dessus du poêle, mais qu'après,
elle était repartie à sa place sans rien dire ni se
plaindre ;
Que le poêle ne pouvait pas brûler, puisque
appuyée dessus elle y faisait la dictée et qu'elle
avait senti la chaleur du poêle par la pose de sa main ;
Enfin que c'est avec le plus grand étonnement qu'elle avait
appris qu'il était question d'enfant brûlée dans
sa classe.
Quant aux huit ou dix élèves interrogées, elles
ont toutes déclaré dans le sens de la soeur
Saint-Léon.
M. l'inspecteur parut s'étonner des bruits qui circulaient,
car il s'aperçut vite qu'il n'y avait rien au fond de cette
affaire, que certaines personnes voulaient exploiter.
Jusque là j'avais cru devoir ne rien faire, mais en
présence de trois enquêtes, je me décidai
à intervenir auprès de l'administration pour l'informer
de ce qui se passait ; c'est dans ce but que j'écrivis
à M. le docteur Royer, de Rouvray, la lettre suivante :
lettre à M. le
docteur Royer
|
Saint-Léger-Vauban,
9 février 1877
Monsieur le docteur
Royer,
Une
élève des hospices de la Seine,
placée par M. Petit, d'Avallon, chez le
sieur Jean Patru de Saint-Léger, vient d'en
être retirée pour être
placée à Beauvillers chez le sieur
Gillot ; il paraîtrait que cette enfant
aurait eu une brûlure à la cuisse, et
que l'on imputerait le fait à la soeur
Saint-Léon, dirigeant la classe communale
des filles de Saint-Léger ; comme l'enfant
est aujourd'hui sous votre surveillance et que je
tiens à éclairer l'administration sur
cette affaire, j'ai l'honneur de venir vous prier
de vouloir bien me donner, par le retour du
porteur, quelques renseignements sur la
gravité de la brûlure.
Je dois faire un rapport à l'administration,
vous me préparerez vos renseignements en
conséquence, car, pour moi, cette
misérable affaire, dont il n'y a pas de quoi
fouetter un chat, n'est autre chose qu'une querelle
d'Allemand que l'on veut chercher aux
religieuses.
La soeur Saint-Léon est accusée de
mettre les enfants en pénitence sur le
poêle ; eh bien, j'ai vérifié
le fait ; en tout temps, il y a du papier, des
livres et des registres sur le poêle ; le
dessus du poêle ne peut donc pas brûler
; si l'enfant a eu sa brûlure en classe, ce
dont je doute encore, elle l'a reçue autour
du poêle et non-dessus, le fait que l'on
impute à la soeur Saint-Léon tombe
donc de lui-même.
Veuillez agréer, Monsieur, etc.
Le maire de
Saint-Léger-Vauban,
Signé : MARCHAND
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réponse de M. le
docteur Royer
|
Rouvray, 9
février 1877
Monsieur le Maire,
J'ai
vu lundi dernier à Beauvillers
l'élève Quénault Henriette,
brûlée à Saint-Léger ;
j'ai le même jour vu M. l'Inspecteur de
Paris, venu à Saint-Léger pour une
enquête à ce sujet, et dans ma
conversation avec M. l'Inspecteur, je concluais
à peu près comme votre lettre
m'indique que vous appréciez le fait. M.
l'Inspecteur m'a demandé un rapport dans ce
sens que je lui ai adressé.
Je déclarais que la brûlure a
été très superficielle
puisque, arrivée le 17 janvier, elle
était totalement guérie le 5
février et cela depuis plusieurs jours. Je
considère donc l'accident comme tout
à fait insignifiant. D'autres renseignements
m'ont été donnés depuis et je
vous engage à faire valoir ceci : l'enfant
a, dit-on, été brûlée
sur le poêle ; comment se fait-il que la
brûlure siège au bas et en
arrière de la cuisse gauche et que la fesse
n'a pas été atteinte ? Comment se
fait-il encore que l'autre enfant assise sur le
poêle n'a pas été brulée
? Il ressort de l'examen de l'enfant qu'elle n'a pu
absolument pas être brûlée sur
le poêle ; que la brûlure a pu se
produire autour du poêle, par exemple en la
montant ou en la descendant, que la brûlure a
été superficielle, a guéri
sans grande suppuration, et qu'il ne reste plus
aujourd'hui trace de l'accident.
Je considère que dans cette affaire il y a
beaucoup de bruit pour rien et que c'est une
querelle absurde dirigée contre les
religieuses.
Veuillez agréer, Monsieur le Maire,
etc.
Signé :
P. ROYER
|
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Avec les renseignements certains que je
possédais et ceux que M. le docteur Royer venait de me
confirmer par écrit, j'adressai à l'honorable
Sous-Préfet d'Avallon la lettre que voici :
lettre à M. le
Sous-Préfet d'Avallon
|
Saint-Léger-Vauban,
12 février 1877
Monsieur le
Sous-Préfet,
Il
y a une douzaine de jours, M. Petit,
sous-inspecteur des enfants assistés de la
Seine, était venu me demander des
renseignements sur une de ces élèves
qui aurait été brûlée
dans la classe communale des filles de
Saint-Léger-Vauban ; comme j'ignorais
complètement ce fait qui pourtant
était arrivé depuis le 17 janvier, je
n'ai pu lui rien fournir ; je le priai alors de
voir les dames religieuses, pendant qu'il
était sur les lieux, et de prendre des
informations, en ajoutant que j'allais
moi-même prendre des renseignements pour les
lui transmettre ensuite dans le cas où ce
serait nécessaire ; il résulte de mes
démarches que l'affaire que l'on voulait
faire passer pour très grave n'était
quoi... rien, absolument rien. Je pensais tellement
qu'il n'y avait rien à faire que le
lendemain de la visite de M. Petit, je vous vis
à Quarré et ne vous parlai de rien ;
car j'aime à croire que vous ne tenez pas
à ce que l'on vous entretienne de
futilités et d'un tas de petits
détails qui se produisent journellement
ici.
Malgré le peu d'importance qu'aurait
dû comporter cette affaire, des personnes
malveillantes s'en sont saisies pour faire beaucoup
de bruit et de tapage et amener dans cette pauvre
commune de nouveaux troubles et de nouvelles
dissensions.
A la suite de deux ou trois enquêtes faites,
j'ai demandé de nouveaux renseignements
à M. le docteur Royer,
médecin-surveillant des enfants
assistés de Beauvillers où se trouve
aujourd'hui la petite fille atteinte ; M. Royer m'a
retourné la lettre dont je vous adresse la
copie ; je partage pleinement son avis.
Je trouve que l'on se passe trop facilement du
maire de Saint-Léger pour différentes
choses autrement sérieuses que celle qui
nous occupe en ce moment ; à mon prochain
passage à la Sous-Préfecture, je vous
en entretiendrai de vive voix.
Agréez, etc.
Le Maire de
Saint-Léger-Vauban,
Signé : MARCHAND
|
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Le 17 février, j'allai tout
exprès à la Sous-Préfecture pour m'entretenir
avec M. le Sous-Préfet de cette grave affaire de
Saint-Léger-Vauban, et lui confirmer les renseignements que
j'avais eu l'honneur de lui adresser par ma lettre du 12
précédent ; je pensais trouver un fonctionnaire
gracieux, aimable, comme un gouvernement honnête peut nous en
fournir ; mais quelle déception ! je me trouvai en face d'un
sous-préfet bandé, gorgé, surexcité ;
malgré cela, je me suis efforcé pendant une demi-heure
de faire revenir mon supérieur hiérarchique de sa
mauvaise impression ; nouvelle déception ; plus
d'explications, plus de renseignements, tout devînt inutile; M.
le Sous-Préfet était fixe, il avait un parti pris ; il
était convaincu que la soeur était coupable, que le
maire avait tort ; aussi, vite un rapport tendant à
révocation, suspension, etc.
Prenant congé de M. le Sous-Préfet, j'ai, comme le
corbeau, juré, mais un peu tard que l'on ne m'y reprendrait
plus.
En sortant de la Sous-Préfecture, je fis la rencontre de M.
l'Inspecteur primaire qui me conduisit chez lui ; et après lui
avoir fait connaître le résultat de ma démarche,
et échangé avec lui quelques mots, il me parla du
changement de la soeur Saint-Léon ; je lui ai aussitôt
répondu que je n'approuvais pas de pareilles mesures que rien,
dans les circonstances actuelles, ne nécessitait ; je lui fis
remarquer en outre que la soeur Saint-Léon n'était pas
coupable et qu'en agissant ainsi à son égard,
c'était la condamner, ce qui serait injuste, j'ajoutai
même que je m'y opposerais ; je parlais comme un maire issu du
suffrage universel étant en droit de le faire, mais j'oubliais
le parti pris de mon Sous-Préfet.
A la suite de ma démarche faite auprès de M. le
Sous-Préfet, le journal l'Yonne est instruit de
l'affaire et insère les articles ci-après
:
1er extrait -
numéro du 20 février 1877
|
On
nous écrit, en date du 18 février,
d'une commune de l'arrondissement d'Avallon :
Monsieur le
Rédacteur,
Parmi toutes les nouvelles
si complètes et si instructives que nous
donne, de tous les points du département,
votre estimable journal, nous sommes
étonnés de ne trouver aucune mention
d'un fait de la plus haute gravité qui s'est
passé, il y a plus d'un mois, dans notre
commune.
Il nous parait bien difficile, cependant, que vous
ayez pu ignorer ce fait jusqu'à
présent, car on en parle dans tout
l'arrondissement, et les autorités en ont
été saisies.
Voici ce qui s'est passé, et je vous
l'apprends, si vous ne le savez
déjà.
A l'école de filles de notre commune, une
jeune enfant a été victime du
châtiment le plus barbare qu'on puisse
imaginer. On lui a ordonné, à titre
de punition, d'aller s'asseoir sur le poêle
de l'école.
Le poêle contenait du feu et chauffait de
plus en plus. La pauvre enfant qui rôtissait
n'a pu obtenir, malgré ses larmes, de
quitter ce poste de supplice auquel elle restait
clouée par la crainte de
désobéir.
Après la classe, elle rentrait à son
domicile dans un état affreux ; toute la
cuisse gauche était brûlée et
profondément ; la cuisse droite était
également atteinte, mais moins gravement.
L'enfant était dans un état
déplorable auquel les médecins
appelés à la soigner ne pourront que
difficilement remédier.
Cette pauvre petite appartient à
l'administration des Enfants-Assistés de la
Seine.
Je vous certifie, Monsieur le rédacteur,
l'exactitude du fait que je vous rapporte, vous
laissant le soin de l'apprécier et d'en
tirer les conséquences.
Agréez, etc.
En prenant connaissance de
la correspondance qu'on vient de lire, nous avons
éprouvé une bien pénible
émotion. Nous avouons que cette lettre nous
cause en même temps un véritable
embarras. Si, en effet, nous avons pu être
récemment inquiétés, et
même gravement menacés pour la simple
relation de ce fait (fait des plus exacts, entendez
bien) qu'une école congréganiste
avait émargé
irrégulièrement le nom d'une
élève absente, et avait ainsi
perçu une rétribution qui
n'était pas due, on comprend que nous
hésitons quelque peu à publier une
nouvelle qui causera certainement, dans un certain
monde, une impression encore plus
désagréable.
Il ne s'agit plus ici d'une somme de trente ou
quarante sous irrégulièrement
demandée et perçue ; il s'agit d'un
fait qu'il suffît d'énoncer pour le
qualifier.
Nous avons consulté la statistique
départementale pour savoir à quel
ordre appartenait l'école des filles de la
commune en question.
Nous y trouvons que deux écoles existent
dans cette commune, l'une laïque et l'autre
congréganiste.
Dans laquelle des deux s'est passé le fait
dont nous parlons ? Nous l'ignorons, notre
correspondant ne s'étant pas expliqué
à ce sujet.
Peu nous importe, d'ailleurs. Nous ajouterons
même que le défaut de renseignements
sur ce point nous met, au contraire, plus à
l'aise pour la publication d'une pareille nouvelle.
Nous n'imiterons pas, en cela, nos adversaires qui
rattachent toutes les plus hautes questions de
morale publique et d'humanité à leurs
visées personnelles et à leurs
intérêts politiques.
Donc, nous demanderons que la lumière se
fasse. Nous dirons même que nous nous
étonnons qu'elle ait tant tardé
à se produire. Les autorités, nous
dit notre correspondant, ont été
averties. Lesquelles ?
Si le maire de la commune a été
averti, comme cela nous parait certain, en
admettant que le fait soit exact, quelles mesures
a-t-il prises ? A qui en a-t-il
référé, ainsi que son devoir
le plus strict lui commandait de le faire
aussitôt.
Si le Sous-Préfet d'Avallon a
été averti, et il nous parait
difficile d'admettre qu'il ne l'ait pas
été immédiatement, comment se
fait-il que, depuis un mois, ce magistrat n'ait pas
encore agi ? Nous serions vraiment curieux de
savoir de quel ordre peuvent être les
considérations qui, en pareille
circonstance, ont suspendu et suspendent encore
l'intervention administrative.
Si ce sont des considérations d'ordre...
moral, nous n'en félicitons personne, car on
sait ce qu'elles valent et à quoi elles
mènent.
|
|
2e extrait -
numéro du jeudi 22 février 1877
|
Qu'on
le sache bien !
Nous avons donné, dans notre dernier
numéro, le récit d'un fait
déplorable qui s'est passé dans une
école de l'arrondissement d'Avallon.
Une pauvre petite fille a été victime
d'un acte inouï de cruauté. L'enfant
appartenait, nous le répétons,
à l'administration des
Enfants-Assistés de la Seine.
On aura peine à croire que l'émotion
indignée que nous a fait éprouver
cette nouvelle n'ait pas été
partagée par tout le monde.
Eh bien, non ! il s'est trouvé des gens pour
en rire, tandis que d'autres sollicitent
l'intervention des gendarmes pour étouffer
notre voix !... Avons-nous besoin de nommer la
coalition bonaparto-cléricale ?...
C'est honteux !
Le Nouvelliste, se croyant encore au 2
décembre, cherche autour de lui quelques
coupe-jarrets qui nous fassent notre affaire.
La Bourgogne fait de l'esprit comme on
l'aimait à l'Oeil-de-Boeuf ; l'occasion est
belle, ma foi ! Elle plaisante sur le "bifteck
humain" qu'on fait rôtir à
l'école congréganiste !
Ah ! c'est qu'il s'agit, paraît-il, d'une
école congréganiste ! Ces messieurs
nous l'apprennent, et, s'il en est ainsi, nous ne
sommes pas fâchés vraiment qu'un fait
aussi odieux ne vienne pas ternir la
réputation d'honneur, de dévouement
et d'humanité si bien méritée
par nos écoles laïques.
Quant aux menaces dirigées contre nous par
les feuilles susnommées, elles ne nous
inspirent qu'un sentiment : celui du plus profond
mépris.
On nous jette à chaque instant les mots de
"parquets", de "poursuites", de "condamnations",
etc., etc. Nous voudrions bien savoir, tout
d'abord, ce que pensent de ces
procédés les honorables personnes qui
sont atteintes journellement par ces blessantes
allusions.
Mais puisqu'on veut à toute force nous
amener sur ce terrain, si nous causions un peu
à notre tour ? En présence d'un fait
qui, nous le répétons, et on ne nous
empêchera pas de le crier aussi fort que nous
pourrons, entendez-vous, Bourgogne !! D'un
fait qui est odieux, "déplorable" et de
nature "à indigner la conscience publique",
en présence de ce fait, quelle a
été la conduite des auxiliaires du
parquet ? Quelle a été celle des
représentants de l'administration des
enfants assistés de la Seine ? Nous voulons
le savoir.
Ah ! c'est nous, maintenant, que vous demandez
à faire poursuivre et à faire
condamner ! Et cela parce que nous avons
découvert et divulgué ce que vous
avez jusqu'ici espéré de tenir
caché !
Eh bien ! nous verrons ! et on vous attend ! Et
pour le moment, nous allons compléter des
renseignements qui ne peuvent manquer de vous
intéresser.
Le fait odieux, déplorable dont il s'agit,
s'est passé à Saint-Léger,
canton de Quarré-les-Tombes, arrondissement
d'Avallon (Yonne), en l'école
congréganiste de cette commune, il y a un
mois au moins.
Êtes-vous contents, maintenant ? Ce fait
était de nature à motiver une
enquête publique et des mesures
immédiates.
Où en est l'enquête, où en sont
les mesures ?
Voilà ce que tous les curés, tous les
cléricaux et tous les bonapartistes du monde
ne nous empêcheront de dire, de publier et de
faire savoir à tout le monde. Et nous
n'avons pas fini ! Qu'on le sache bien !
|
|
Après la publication par le journal
l'Yonne de choses aussi odieuses et inqualifiables,
indigné d'une pareille injustice et poussé par le
sentiment du devoir, j'adressai à ce journal l'Yonne,
à la date du 24 février, une lettre rectificative des
faits, faisant apparaître la vérité sous son
véritable jour et dont voici la teneur :
Saint-Léger-Vauban,
le 24 février 1877
Monsieur le
Rédacteur,
Ayant
pris connaissance de la lettre en date à
Saint- Léger- Vauban du 18 février
présent mois, publiée par votre
journal dans le numéro du mardi 20, et ayant
trait à un acte de cruauté dont une
institutrice d'une commune de l'arrondissement
d'Avallon se serait rendue coupable, je me demandai
tout d'abord si cette lettre ne voulait pas faire
allusion à une histoire fantastique
arrivée récemment dans ma commune ;
je me disposais à y répondre ; et
bien qu'il y fût question des
autorités, du maire, etc., la commune n'y
étant pas dénommée, j'ai cru
néanmoins devoir m'abstenir.
Le numéro du 23, de votre journal qui a paru
hier, fait la lumière sur l'ensemble de
cette affaire ; la commune étant cette fois
dénommée, j'ai pensé qu'il
était de mon devoir, dans
l'intérêt de la justice et de la
vérité, de vous apporter des
explications relatives à la lettre
insérée dans le numéro du
20.
Voici ce qui est arrivé :
Le 17 janvier dernier, une jeune enfant
assistée de la Seine a eu au bas de la
cuisse gauche seulement une légère
brûlure ; cet accident s'est produit
probablement dans la classe communale
dirigée par les dames religieuses, autour du
poêle et non pas sur le poêle où
l'on prétend que l'enfant serait
allée s'asseoir par punition ; la dame
religieuse a déclaré en effet que le
17 janvier deux petites filles se disputant
ensemble (celle qui nous occupe et une autre)
auraient été élevées
l'une après l'autre sur le poêle pour
les montrer à l'attention des autres petites
filles plus sages qu'elles, et descendues
aussitôt ; ce poêle est très
élevé, et le bas est très
chaud, tandis que le haut ne l'est pas ; il a
été constaté que tous les
jours, alors qu'il y a du feu dans le poêle,
l'institutrice écrit sur ce poêle, y
laisse du papier, des livres, cahiers, etc. ; ce
n'est donc, à mon avis, qu'autour du
poêle que l'accident a pu se produire ; il
ressort, du reste, des explications d'un docteur en
médecine que si la brûlure avait eu
lieu sur le poêle, la partie affectée
ne siégerait pas là où elle
est.
J'ai dit que la brûlure était
légère, ce langage est si vrai que le
docteur appelé le 5 février pour
visiter l'enfant constata que la brûlure
avait été très superficielle
et qu'elle était déjà
guérie depuis plusieurs jours.
Eh bien! M. le Rédacteur, voilà
l'enfant que l'on a fait rôtir sur le
poêle, l'enfant qui est aujourd'hui dans un
état déplorable, l'enfant dont les
médecins désespèrent.
En présence de cette situation, je laisse au
public impartial le soin d'apprécier la
conduite d'une personne qui vient attester à
la date du 18 de ce mois qu'une enfant est dans un
état déplorable, alors que, depuis
plus de 15 jours, cette enfant est très bien
portante.
A l'égard de l'enfant rôtie à
Saint-Léger-Vauban, voilà, M. le
Rédacteur, la vérité apparue
sous son véritable jour.
Je vous demanderai maintenant, M. le
Rédacteur, la permission de vous donner
quelques renseignements de nature à vous
éclairer sur ce qui a été fait
à la suite des dénonciations de
l'acte de cruauté imputé à la
dame religieuse de ma commune.
Du 17 au 31 janvier, je n'avais entendu parler de
rien. Ledit jour 31 janvier, j'eus la visite
d'une personne intéressée à
l'affaire qui vint me demander des renseignements,
me disant qu'on lui avait annoncé que cette
affaire faisait beaucoup de bruit et de tapage dans
la commune. Je répondis à cette
personne que j'ignorais complètement le
fait, que j'allais prendre des informations et que
si la chose était sérieuse je lui en
référerais. Ce jour même,
après quelques démarches, je reconnus
que l'affaire était sans importance,
naturellement je ne m'en suis pas
préoccupé le moins du monde, je ne
m'en préoccupai tellement pas que le
lendemain, 1er février, je vis M. le
Sous-Préfet au tirage à
Quarré-les-Tombes, et je vous avoue que
l'idée ne me vint pas à l'esprit de
lui en parler.
La semaine suivante arrivent à
Saint-Léger M. l'Inspecteur des Enfants
assistés venu de Paris, M. le
Sous-inspecteur d'Avallon, un docteur en
médecine et une enquête a lieu.
Quelques jours après, interviennent encore
M. le Lieutenant de la gendarmerie de
l'arrondissement, M. le Brigadier du canton
accompagné d'un gendarme ; une nouvelle
enquête.
Ce n'est pas tout, M. l'Inspecteur des
écoles primaires vint à son tour, je
suis mandé à la maison
d'école, encore une enquête.
Je vous déclare, M. le Rédacteur, que
ce n'est pas sans pitié que je vis tant de
déplacements de la part de tous ces
messieurs, et constater quoi... une montagne
accouchant d'une souris.
En présence du fait ridicule imputé
aux religieuses et des enquêtes qui en ont
été la conséquence,
j'écrivis à la date du 12
février à M. le Sous-Préfet
d'Avallon pour l'informer de ce qui se passait ;
dans ma lettre, je lui disais franchement que
l'affaire que l'on voulait faire passer pour
très-grave n'était rien, absolument
rien, et qu'elle était due à des
personnes qui ne cherchent qu'à ramener dans
cette commune les troubles et le
désordre.
Vous désiriez savoir, M. le
Rédacteur, ce qui avait été
fait relativement à l'enfant rôtie
à Saint-Léger-Vauban ; vous
voilà édifié, n'est-ce pas ?
Vous trouverez, j'aime à le croire, que rien
n'a été épargné
à cet égard.
Je ne viens pas me faire le défenseur de la
dame religieuse inculpée de cruauté,
cette dame n'en a pas besoin, elle habite
Saint-Léger depuis près de vingt ans,
elle y est connue, son passé est là
et parlera pour elle, son passé vous dira
que, depuis son séjour clans cette commune,
les enfants lui sont redevables de la bienveillance
et des bons soins qu'elle leur a constamment
prodigués.
Pour mon compte personnel, je ne vois dans toute
cette affaire qu'une infamie.
Veuillez agréer, etc.
Le Maire de
Saint-Léger-Vauban,
Signé : MARCHAND
|
|
révocation de la
soeur Saint-Léon
|
Le lendemain 25 février, je recevais
par la poste une copie d'un arrêté préfectoral,
en date du 22 de ce mois, révoquant la soeur Saint-Léon
de ses fonctions d'institutrice communale de
Saint-Léger-Vauban, ainsi qu'un numéro du journal
l'Yonne annonçant cette révocation. Cet
arrêté est basé sur les considérants
suivants :
Considérant
que dame Marie Gally, en religion soeur
Saint-Léon, institutrice communale de
Saint-Léger-Vauban, a, au mépris des
prescriptions réglementaires, infligé
une punition corporelle à deux
élèves de sa classe, que l'une de ses
élèves notamment placée sur le
poêle a reçu une forte brûlure
constatée par un médecin.
Arrête, etc.
|
|
Cet arrêté a été
pris prématurément ; car il n'a pas été
établi le moins du monde que la soeur fût coupable des
faits qu'on lui impute.
pétition de 10
conseillers municipaux et de 86 pères ou mères
de famille
|
La révocation de la soeur
Saint-Léon était à peine connue que dix
conseillers municipaux et quatre-vingt-six pères ou
mères de famille (sans compter ceux qui ne savent signer) sont
venus spontanément signer une pétition protestant
contre les mesures prises à l'endroit de la soeur
Saint-Léon, et réclamer à M. le Préfet sa
réintégration.
Voici les termes de cette pétition :
Saint-Léger-Vauban,
28 février 1877
Monsieur le
Préfet,
Les
soussignés, tous membres du Conseil
municipal de la commune de
Saint-Léger-Vauban, et pères ou
mères des enfants qui ont
fréquenté la classe communale, ont
l'honneur de vous exprimer leur regret en apprenant
que vous venez, par un arrêté, de
révoquer la soeur Saint-Léon de ses
fonctions d'institutrice communale de
Saint-Léger, arrêté
basé, parait-il, sur des faits qui vous
auraient été
dénaturés.
La soeur Saint-Léon ne mérite pas les
mesures de rigueur prises à son
égard, car depuis près de 20 ans
qu'elle habite la commune, elle a toujours
été très bonne pour les
enfants qu'elle a entourés de soins
particuliers.
En conséquence, nous vous supplions,
Monsieur le Préfet, de vouloir bien
rapporter votre arrêté et de nous
restituer la soeur Saint-Léon.
(suivent les
96 signatures)
|
|
Quant aux deux autres conseillers municipaux
qui n'avaient pas signé cette pétition, ils sont venus,
lors de l'enquête judiciaire dont je parlerai ci-après,
témoigner publiquement en faveur de l'innocence de la soeur
Saint-Léon ; pour un pays tant divisé, peut-on avoir de
plus belle et de plus sérieuse réfutation à
opposer aux mesures de rigueur dont la soeur Saint-Léon a
été l'objet.
suspension du Maire de
Saint-Léger-Vauban
|
Sur le rapport de M. le Sous-Préfet
et à la date du 27 février est intervenu un second
arrêté préfectoral me suspendant de mes fonctions
de maire pendant deux mois. Cet arrêté est
basé sur les considérants suivants :
Attendu
que M. Marchand, maire de la commune de
Saint-Léger-Vauban, n'a pas avec intention
porté à la connaissance de
l'autorité supérieure
1° la faute grave commise dans l'exercice de
ses fonctions par l'institutrice communale
2° la blessure reçue par la
nommée Henriette Quénault,
élève des hospices du
département de la Seine
qu'en outre, dans une lettre injurieuse pour
l'administration et par lui rendue publique, il a
sciemment dénaturé les faits
sus-relatés.
Arrête, etc.
|
|
Cet arrêté a encore
été pris bien prématurément, car il
repose sur des considérants qui ne sont pas exacts ni
sérieux et tombent d'eux-mêmes ; en effet, il est
démontré et établi aujourd'hui :
Que je n'ai eu connaissance de la soi-disant brûlure que le 31
janvier ;
Que M. le Sous-Préfet était au courant de ce qui se
passait et qu'il se tenait bien de garde de m'en parler ;
Que les trois enquêtes ont eu lieu du 5 au 8 février et
sont venues confirmer que ce que j'avais avancé sur la
gravité de la brûlure était exact ;
Que je n'ai rien caché avec intention à
l'autorité supérieure, puisque le 12 février,
sans que M. le Sous-Préfet me fit demander aucuns
renseignements, je lui écrivais pour l'informer de ce qui se
passait, et que le 17 j'allais exprès à la
sous-préfecture confirmer les renseignements que j'avais
adressés par ma lettre du 12 ;
Enfin que ma lettre du 24 février, insérée dans
les trois journaux, l'Yonne, la Bourgogne et le
Nouvelliste n'avait rien d'injurieux pour l'administration parce
qu'elle était écrite sous l'impression des lignes
diffamatoires du journal l'Yonne et non en raison de la mesure
de révocation de la soeur Saint-Léon émanant de
M. le Préfet, pour lequel je professais le plus grand respect,
mesure dont je n'ai eu connaissance que le lendemain 25. Je n'ai
jamais pensé, du reste, qu'il y eût la moindre
solidarité entre le journal que l'on appelle l'Yonne
et... l'administration.
J'ai donc été odieusement et impitoyablement
sacrifié pour avoir dit la vérité et fait la
lumière.
Comment M. le Préfet a-t-il pu arriver à prendre ces
mesures aussi regrettables ? Il lui a suffi tout simplement d'un
certificat erroné et tronqué d'un jeune médecin
récemment installé dans notre pays, et d'un avis de M.
le Sous-Préfet.
En présence de ces faits, pas de commentaires, le public
appréciera.
La révocation de la soeur
Saint-Léon ayant été reproduite par le
journal le Nouvelliste de l'Yonne avec réflexions, M.
le Préfet a adressé à ce journal la lettre et le
communiqué qui suivent :
A Monsieur le
Rédacteur en chef du journal le
Nouvelliste,
Auxerre, le 28
février 1877
Monsieur le
Rédacteur,
J'ai
l'honneur de vous adresser ci-joint un
communiqué que je vous prie d'insérer
dans le numéro de ce jour du journal le
Nouvelliste.
Recevez, M. le Rédacteur, l'assurance de ma
considération très distinguée.
Le
Préfet de l'Yonne,
Signé : Ch. ROUSSEL
Auxerre, 28
février 1877
Le Nouvelliste,
dans son numéro du 27, contient un article
relatif à l'affaire de l'école
communale de Saint-Léger, où la
vérité des faits se trouve
altérée ; ces faits sont
établis par une enquête dans laquelle
ont été entendues l'institutrice et
les enfants de l'école. Il résulte de
ce témoignage et de l'aveu même de
l'institutrice que le 17 janvier celle-ci a
placé, en punition, sur le poêle, deux
petites filles ; l'une d'elles a été
protégée par ses vêtements,
l'autre a reçu une brûlure
certifiée et caractérisée du
troisième degré par le médecin
qui constatait, huit jours après, une
croûte longue de 15 à 20
centimètres sur 10 à 12 de large.
Après un tel acte d'aberration,
l'institutrice ne pouvait continuer d'exercer dans
le département. L'administration regrette
que les passions politiques se soient emparé
(sic) d'une affaire de pure discipline scolaire,
pour alimenter leur polémique, et que des
personnes auxquelles leurs fonctions imposaient le
devoir de lui apporter leur concours et de garder
la réserve vis-à-vis du public
l'aient placée, à cette occasion,
dans la nécessité de réprimer
leur attitude.
Signé :
ROUSSEL
|
|
Le même communiqué était
adressé à la Bourgogne.
Il me semble inutile de commenter les termes de ce communiqué,
les déclarations que j'ai faites ci-dessus, à la suite
de la relation de ma révocation de maire, doivent suffire.
L'affaire de la soeur Saint-Léon ayant été
portée devant la Chambre des députés, le
Nouvelliste de l'Yonne rapporte le compte-rendu de cette
séance et l'appréciation de la presse comme voici :
A Monsieur le
Rédacteur en chef du journal le
Nouvelliste,
CHAMBRE DES
DÉPUTÉS - séance du vendredi 2
mars 1877
PRÉSIDENCE DE M. GRÉVY
M.
BENJAMIN RASPAIL demande à adresser une
question à M. le Ministre de la justice sur
un acte de cruauté qui aurait
été commis dans une école
congréganiste et qui serait resté
impuni.
M. BENJAMIN RASPAIL a la parole.
M. BENJAMIN RASPAIL :
-
Messieurs, d'accord avec M. le Ministre de la
justice, je viens porter à la connaissance
de la Chambre le fait suivant sur lequel je demande
quelques explications à M. le Ministre de la
justice. Je lui demande de faire au besoin une
enquête le plus tôt possible afin que
nous soyons fixés.
Il y a un mois, un journal du département de
l'Yonne publiait le récit suivant d'un acte
odieux de cruauté qui lui était
signalé comme ayant été commis
dans une école congréganiste de
filles.
Voici le récit : A l'école des filles
de la commune de Saint-Léger-Vauban (Yonne),
une jeune enfant a été victime du
châtiment le plus barbare qu'on puisse
imaginer. On lui a ordonné, pour punition,
d'aller s'asseoir sur le poêle de
l'école. Le poêle contenait du feu et
chauffait de plus en plus. La pauvre enfant qui
rôtissait n'a pu obtenir, malgré ses
larmes, de quitter ce poste de supplice auquel elle
restait clouée par la crainte de
désobéir. (rumeurs
ironiques à droite)
M. GERMAIN CASSE :
-
Cela n'est pas risible du tout, c'est monstrueux
!
M. DUGAMP :
-
On ne pourrait rire de pareilles choses que dans
l'école de Torquemada !
M. BENJAMIN
RASPAIL :
-
Je continue la lecture de l'article : "Après
la classe, elle rentrait à son domicile dans
un état affreux : toute la cuisse gauche
était brûlée et
profondément.
La cuisse droite était également
atteinte, mais moins gravement. L'enfant
était dans un état déplorable
auquel les médecins appelés à
la soigner ne pourront que difficilement
remédier.
Cette pauvre enfant appartient à
l'administration des enfants assistés de la
Seine."
Si je n'avais, Messieurs, trouvé le
récit de ce fait que dans les journaux,
j'aurais attendu de plus amples détails, et
je ne me serais pas risqué à
l'apporter à la tribune ; mais voici ce qui
me paraît entièrement confirmer cet
acte de cruauté ; c'est qu'un
arrêté préfectoral est venu
répondre.
Il révoque la demoiselle Gally portant le
nom de soeur Saint-Léon dans la
congrégation de la Sainte-Enfance,
institutrice à Saint-Léger-Vauban
"pour avoir infligé une punition corporelle
grave à deux enfants."
M. DUCAMP :
-
Elle n'a pas d'enfants !
M. BENJAMIN
RASPAIL :
-
Je demande donc à M. le ministre de la
justice si, après que M. le Préfet du
département de l'Yonne a rempli son devoir,
M. le Procureur de la République, de son
côté, a cru devoir mettre en accord la
loi de la justice avec la loi de
l'administration.
(Très bien ! très bien
!)
Dans le cas où il ne serait pas à
même de me répondre en ce moment - et
c'est probable, M. le sous-secrétaire d'Etat
ne peut connaître tous les détails qui
se passent en France - je demande qu'il veuille
bien faire une enquête le plus tôt
possible sur les faits que je viens d'exposer.
(Très bien
! très bien !)
M. MÉLINE, sous-secrétaire d'Etat de
la justice et des cultes :
-
Messieurs, je n'ai qu'un mot à
répondre à l'honorable M.
Raspail.
J'ignorais encore hier le fait qui vient
d'être signalé à l'attention et
à l'indignation de la
Chambre.
(Très bien ! très bien !)
Je
l'ai appris ce matin par les journaux et par M.
Raspail tout à l'heure.
S'il est vrai, il est odieux et mérite
d'être sévèrement
réprimé.
Mais la Chambre trouvera bon qu'avant de me
prononcer, je prescrive une enquête.
(marque
générale d'approbation)
M. DE LA ROCHEFOUCAULT, duc de Bisaccia :
-
Nous la demandons tous !
M. LE
SOUS-SECRETAIRE D'ÉTAT :
-
Je suis absolument certain de rencontrer un
sentiment unanime dans la Chambre sur un fait
semblable.
M. CHARLES
LEPÈRE :
-
Mais il y a un certificat de médecin.
M. LE
SOUS-SECRÉTAIRE D'ÉTAT :
-
L'enquête va être prescrite d'urgence ;
et quand les résultats nous en seront
parvenus, la Chambre peut être assurée
que le gouvernement en tirera les
conséquences légales, et que la loi
sera appliquée dans toute son
impartialité.
(Très bien ! très bien ! assentiment
unanime)
Ce
qui ne dispense pas la soeur Saint-Léon de
se croire diffamée et de poursuivre
l'Yonne ! Le contraire impressionnerait
défavorablement.
|
|
appréciations de
la presse
|
On
dément d'une façon formelle
l'exactitude des détails donnés hier
par M. Benjamin Raspail à la tribune de la
Chambre des députés au sujet des
prétendus mauvais traitements dont aurait
été victime une jeune enfant,
élève dans une école primaire
congréganiste du département de
l'Yonne.
Le maire de la commune dans laquelle le fait se
serait passé a écrit lui-même,
nous assure-t-on, pour réduire à ses
proportions exactes cet événement que
la passion politique a énormément
grossi et non moins considérablement
dénaturé.
La
Patrie
|
|
M.
Benjamin Raspail a interpellé M.
Méline. M. Benjamin Raspail a lu dans un
journal radical de l'Yonne qu'une institutrice
congréganiste avait brûlé vive
une de ses élèves et que cette
institutrice avait été
révoquée par le Préfet. Il
trouve avec raison que la punition n'est pas
suffisante, et il somme M. Méline de faire
un exemple. M. Méline répond que si
une petite fille a, en effet, été
brûlée vive par une soeur de
charité, la révocation ne suffit pas.
Il s'informera et avisera.
La
Nation
|
|
La
séance a bien fini. M. Benjamin Raspail a
adressé une question au ministre de la
justice représenté par son
secrétaire d'Etat, M. Méline.
M. Benjamin Raspail a lu un article d'un journal de
l'Yonne racontant que, dans ce département,
une enfant, élève d'une école
congréganiste, aurait été
assise, par punition, sur un poêle rouge.
Elle aurait eu les deux jambes
brûlées.
"Le
procureur de la République a-t-il agi
?" s'est
écrié M. Raspail. Une enquête
est nécessaire.
La droite a réclamé celle
enquête, et M. Méline a répondu
fort correctement :
"Si
le fait est vrai, il mérite une punition
sévère. Une enquête va
être prescrite ; quand les résultats
en seront connus, la Chambre peut être
assurée que le gouvernement en tirera les
conséquences légales, et que la loi
sera appliquée dans toute son
impartialité."
On ne pouvait pas dire mieux ; on ne pouvait pas
dire plus.
L'enquête prouvera que la relation du journal
radical de l'Yonne est erronée. Le maire a
protesté contre la révocation de
l'institutrice congréganiste qui a
été décidée
sommairement par le préfet. L'enquête
n'aboutira qu'à un blâme
énergique du préfet, si le
gouvernement a encore le droit de blâmer un
préfet qui est l'âme damnée de
M. Lepère.
M. Benjamin Raspail, d'ailleurs, ne s'est pas
préoccupé du résultat de
l'enquête. Il a voulu faire quelque scandale
; il a réussi. Les congréganistes se
justifieront ensuite ; mais la calomnie aura fait
son chemin.
Le
Gaulois
|
|
Ce
calembour me servira de transition (comment ? je
l'ignore) pour parler de la question que M. Raspail
a adressée à M. le Garde des sceaux
relativement à une petite fille que l'on
aurait fait rôtir sur un poêle.
En attendant que l'enquête fasse la
lumière sur cette triste affaire qui s'est
passée dans la commune de
Saint-Léger, le maire de cette
localité a écrit une lettre qui
dément du tout au tout l'accusation du
journal l'Yonne.
Ce fonctionnaire prétend qu'elle est le
résultat d'une calomnie, que l'institutrice
inculpée de cruauté habite
Saint-Léger depuis 20 ans et qu'elle y jouit
d'une excellente réputation.
Le
Figaro
|
|
M. Méline, sous-secrétaire
d'Etat, en annonçant qu'il allait prescrire d'urgence une
enquête, a fait respirer dans nos localités tous les
coeurs honnêtes ; aussi l'innocente soeur Saint-Léon
devait en sortir intacte et les diffamateurs confus et
réprouvés.
Pendant que le sous-secrétaire d'Etat annonçait qu'il
allait prescrire une enquête, j'adressais au rédacteur
du Nouvelliste de l'Yonne la lettre ci-après :
Saint-Léger-Vauban,
5 mars 1877
Monsieur le
Rédacteur,
Je
maintiens énergiquement les termes de ma
lettre du 24 février dernier ; ils sont la
reproduction exacte de la vérité.
L'enfant rôtie a eu tout simplement une
légère blessure de 2 à 3
centimètres de large sur 9 à 10 de
long, tandis que, d'après le communique
préfectoral, le certificat du docteur Simon
aurait constaté que la brûlure avait
10 à 12 centimètres de large sur 15
à 20 de long, ce qui établit une
exagération de neuf dixièmes
environ.
La brûlure n'a été que du
deuxième degré ; l'enfant ne s'en
est, pour ainsi dire, pas aperçue ; elle
n'est pas restée cinq minutes sans
fréquenter la classe, et c'est cette
brûlure grave qui a été
guérie en moins de 15 jours.
Ces renseignements sont de la plus grande
exactitude ; le docteur Royer, de Rouvray,
aujourd'hui médecin-surveillant de l'enfant
(qui a été placée à
Beauvillers) a, en ma présence, vendredi
dernier, mesuré la place de la
brûlure, et m'a laissé un écrit
constatant ce que je vous avance.
Une pétition, signée par 10
conseillers municipaux et 86 pères ou
mères des enfants qui ont
fréquenté la classe communale, a
été adressée à M. le
Préfet pour réclamer la soeur
Saint-Léon et protester contre les mesures
prises à son égard.
Toute la population est indignée.
Agréez, etc.
Signé:
MARCHAND
|
|
Pour mieux caractériser la
gravité de la brûlure, il faut retenir les
déclarations qui m'ont été faites par les
père et mère nourriciers de l'enfant
Quénault.
La mère me déclarait : "Ah
! mon Dieu, l'enfant n'avait pas tant de mal que ça, j'ai
seulement aperçu le soir une petite rougeur comme mon petit
doigt" (et ce doigt d'une femme
très maigre est comme une bonne allumette)
Le mari, de son côté, me disait :
"Ah ! monsieur, peut-on faire tant de scandale pour si peu de chose,
pour une petite rougeur comme le bout de mon petit doigt ?"
Et cette rougeur, est-ce bien une
brûlure ?
Comme l'a dit M. le docteur Simon : vu les données, on le
croit, on le pense, parce que la mère nourricière et
l'enfant l'ont déclaré, et que le mode de pansement
l'indiquait. Mais ce n'est pas bien certain, les trois docteurs
reconnaissent que la petite cicatrice pourrait aussi bien se produire
par autre chose que par une brûlure sur le poêle.
Enfin, cette brûlure, si brûlure il y a, où
s'est-elle produite ? Est-ce en classe? Est-ce ailleurs? C'est ce que
personne n'a pu savoir ; cent élèves et l'institutrice
l'ignorent encore ; c'est un mystère qui, grâce à
Dieu, je l'espère, se révélera plus tard et
finira de confondre les diffamateurs.
rapport des trois
docteurs
|
8 mars
1877
Nous
soussignés, docteurs en médecine, sur
la réquisition de M. le Juge d'instruction
du tribunal civil d'Avallon, nous sommes
transportés ce jourd'hui à
Saint-Léger-Vauban à l'effet
d'examiner l'enfant Quénault
présumée brûlée à
l'école des soeurs institutrices de ladite
commune et pour répondre aux trois questions
posées dans la commission rogatoire.
1re question - Dire la
gravité de la brûlure, en
préciser le degré
Brûlure des 1er et
2e degrés à la partie
postérieure et moyenne de la cuisse gauche
ayant la forme d'un croissant à
concavité tournée en haut,
présentant une longueur de 9 à 10
centimètres, transversalement et une largeur
de 2 centimètres 1/2. Le Dr Simon, dans son
certificat du 25 janvier, c'est-à-dire huit
jours après l'accident, a constaté un
pansement ouaté recouvrant la brûlure
; les dimensions indiquées clans son
certificat étaient celles du pansement qu'il
n'a pas cru devoir enlever à cause de son
adhérence ; les 2e et 3e degrés n'ont
donc pu être constatés
qu'approximativement.
2e question - Dire les
suites de cette brûlure et quelle en sera la
durée
La brûlure a mis
quinze jours à se guérir ;
aujourd'hui, elle ne présente plus qu'une
rougeur présentant la forme décrite
plus haut. L'enfant ne s'est jamais alitée
et a toujours fréquenté
l'école jusqu'à sa guérison.
3e question - Comment la
brûlure a-t-elle pu se produire
d'après l'inspection des lieux,
l'état de l'enfant et les explications
orales reçues dans l'instruction
De l'examen du poêle
et de la façon dont il a pu être
chauffé en notre présence, nous
pouvons affirmer que la température de sa
partie supérieure peut être assez
élevée pour produire la
brûlure. Si au moment de la brûlure, le
poêle était très chaud,
l'enfant n'a dû y rester que quelques
instants, quelques secondes par exemple ; s'il
était moins chaud, l'enfant a dû y
rester plus longtemps, un espace de temps qui
toutefois n'aurait pas dépassé deux
à trois minutes.
Il est possible que la main appliquée sur le
poêle pendant quelques instants n'ait pas
été brûlée, tandis
qu'une partie recouverte par les vêtements
d'ordinaire ait pu l'être, la peau dans ces
parties se trouvant plus fine.
La concavité de la brûlure s'accorde
avec la supposition que la brûlure ait pu se
produire l'enfant étant assise sur le
poêle. Pour expliquer la limitation de la
brûlure, nous devons admettre que la partie
brûlée s'est trouvée
fortuitement non recouverte par les
vêtements.
Conclusions : La
brûlure a été
légère, n'a occasionné aucune
incapacité de travail, ne laissera aucune
trace ni infirmité.
En foi de quoi nous avons signé le
présent rapport que nous croyons conforme
à la vérité.
Signé :
BERT, ROYER, SIMON
|
|
Les médecins font observer que la
classification suivie est celle de Dupuytrenen six degrés, (1)
(1) Il
est essentiel de remarquer que le jour de l'Enquête judiciaire,
ce poêle a été chauffé pendant trois
quarts d'heure, à toute vitesse, et que jamais de l'hiver, il
n'avait chauffé de cette façon ; c'est ce qui explique
l'idée qu'avec le degré de chaleur ordinaire, ce
poêle ne peut pas brûler.
enquête judiciaire
à Saint-Léger-Vauban
|
Le 8 mars 1877, M. le juge d'instruction
Perrin, accompagné de M. le Procureur de la République,
de M. le lieutenant de gendarmerie et de M. le commis-greffier, a
procédé, par ordre émanant du ministère
de la justice, à l'enquête annoncée par M.
Méline, sous-secrétaire d'Etat au ministère de
la justice.
Douze ou quatorze témoins ont été entendus
successivement et, chose étrange, dans un pays divisé
comme l'est Saint-Léger-Vauban, aucun témoin n'a
déposé contre la soeur Saint-Léon ; tous ont
fait son éloge.
De cette enquête, il n'est pas résulté du tout
que la soeur Saint-Léon fût coupable des faits qu'on lui
imputait ; donc pas de commentaires.
Il est avéré cependant aujourd'hui que, de
l'enquête judiciaire à Saint-Léger-Vauban, M. le
docteur Simon racontait à un de ses amis, digne de foi, que le
5 février dernier, M. l'inspecteur général de
l'assistance publique, lui avait tenu le langage que voici :
"Mais, docteur
Simon (en parlant de la
brûlure de l'enfant Quénault), êtes-vous
bien sûr que c'est une brûlure ?" et
que le docteur Simon lui aurait répondu :
"Je le crois, parce
que l'affection a été traitée pour telle, mais
je n'en suis pas sûr."
J'estime que l'on doit être édifié maintenant sur
les données du docteur Simon.
révocation du
maire de Saint-Léger-Vauban
|
Par décret de M. le Président
de la République en date du 10 mars 1877, et sur la
proposition de M. le Ministre de l'intérieur, j'ai
été révoqué de mes fonctions de maire de
Saint-Léger-Vauban.
Je ne ferai aucune réflexion sur les mesures de rigueur
exercées à mon égard ; je me bornerai à
faire savoir que, par lettres en date du 16 mars suivant
adressées à M. le maréchal de Mac-Mahon et
à Son Excellence M. le Ministre de l'intérieur, j'ai
protesté de toutes les forces de mon âme contre ces
mesures de rigueurs et contre celles exercées à
l'endroit de la soeur Saint-Léon ; j'attends avec confiance
justice se faire.
L'Yonne, dans son numéro du samedi 7 avril, rapporte comme
voici la séance du Conseil municipal de Paris :
Conseil municipal de
Paris - séance du 5. avril 1877
PRÉSIDENCE DE M. BONNET-DUVERDIER
La séance est ouverte à deux heures
et demie.
Affaires diverses - La soeur Saint-Léon
M.
Sigismond Lacroix a la parole pour poser une
question à M. le préfet de la Seine,
après avoir obtenu son assentiment.
M. Lacroix rappelle que des sévices ont
été exercés par la soeur
Saint-Léon, institutrice du village de
Saint-Léger-Vauban (Yonne), sur deux petites
filles, dont l'une est une enfant assistée
du département de la Seine. Ces deux enfants
ont été placées, par cette
institutrice, sur un poêle allumé, et
il en est résulté des blessures
graves. Un procès a été
intenté contre l'institutrice dont il s'agit
devant le tribunal d'Avallon.
M. Lacroix demande si l'administration n'entend pas
intervenir comme partie civile au procès ;
cette intervention lui paraît d'autant plus
nécessaire que le parquet n'a agi que sur
l'injonction du garde des sceaux et que l'enfant
assistée ne peut être
représentée au procès que par
l'administration pour revendiquer les
dédommagements légitimement dus.
M. le préfet de la Seine rappelle que le
service des Enfants-Assistés étant un
service départemental, n'est pas
placé sous le contrôle du Conseil
municipal ; néanmoins, comme il s'agit d'un
enfant de Paris, M. le préfet est tout
disposé à donner au Conseil les
renseignements qu'il a recueillis.
Selon M. le préfet, il résulte d'un
rapport d'un inspecteur et des certificats des
médecins que la blessure a été
très légère et ne laissera
aucune trace. Quant à la cause de
l'accident, il résulte encore des susdits
documents que les enfants dont il s'agit ayant
troublé la classe par une dispute, la soeur,
pour les humilier, par une sorte d'exposition, les
fit venir et les plaça sur le poêle
où elle avait pu poser la main quelques
instants auparavant. La brûlure serait donc
involontaire. Dans ces circonstances, M. le
préfet ne croit pas qu'il y ait lieu de
réclamer des
dommages-intérêts.
Après quelques observations de MM. Lacroix,
le préfet de la Seine et Delatre, l'incident
est clos.
|
|
Ai-je besoin encore ici de commenter sur
cette séance.
M. le préfet de la Seine a en une attitude qui mérite
des éloges, il a eu conscience de l'injustice commise à
l'endroit de la soeur Saint-Léon, il a eu le courage de le
déclarer ; honneur donc à ce digne fonctionnaire !
Que reste-t-il de la séance du conseil municipal de Paris ?
Une chose : que la soeur Saint-Léon était innocente.
renvoi de la soeur
Saint-Léon devant le tribunal correctionnel d'Avallon
(Yonne)
|
L'enquête judiciaire étant
parvenue au parquet de M. le Procureur général, puis au
ministère de la justice, M de marquis de La Rochejacquelein,
député de la droite, interpella à plusieurs
reprises le gouvernement pour qu'il eût à s'expliquer
sur l'affaire de la soeur Saint-Léon ; mais au moment
où la Chambre allait se séparer, M. le ministre de la
justice déclara à M. le marquis de la Rochejacquelein
que la soeur Saint-Léon allait être renvoyée
devant le tribunal correctionnel d'Avallon pour blessure par
imprudence ; l'interpellation de M. le marquis a donc
été ajournée.
L'Yonne, non satisfaite de la conduite de M. le Préfet
de la Seine lors de la séance du Conseil municipal de Paris du
5 avril, se crut autorisée à inventer des
fac-similés des soi-disant brûlures des enfants
Hénault et Quénault, et de les produire dans le
numéro du 10 avril 1877 de son journal, sous cette rubrique :
A M. le Préfet
de la Seine,
et
aussi à MM. les curés, desservants,
sacristains, etc., etc., à saint
Ordre-Moral, aux doux anges de la faction
bonapartiste, à toutes les âmes
candides et pures qui ne peuvent croire à la
perversité humaine, aux braves et
honnêtes gens qui, faute de renseignements,
par bonté de coeur et esprit de
charité, nous traitent de menteurs,
d'imposteurs, de calomniateurs, etc., etc.,
uniquement pour l'amour de Dieu et la protection
des petits enfants,
nous dédions les deux documents qui suivent
:
1° Fac-similé
de la blessure de la jeune Henriette
Quénault, enfant assistée de la
Seine
(ce fac-similé est
représenté en noir sur le
journal)
NOTA : Cette enfant a été
placée, à titre de seconde et
suprême punition, par la supérieure de
l'école de Saint-Léger-Vauban, sur un
poêle en fonte qui chauffait la classe.
Brûlure profonde de la cuisse gauche ;
traitement d'au moins quinze jours avant la
guérison, avec suppuration de la plaie. De
plus, sur tout le siège, éruption de
furoncles concomitante, résultant, sans
aucun doute, du surchauffement des parties et des
pansements défectueux.
Ainsi qu'on le voit, par le dessin ci-dessus, la
brûlure présente la forme circulaire.
L'enfant assise sur le poêle, et se sentant
brûler, penchait naturellement le corps en
avant, soulevant autant que possible et cherchant
à dégager l'une des cuisses, tandis
que l'autre appuyée, et portant d'aplomb sur
le rebord circulaire du poêle,
brûlait.
Les échancrures et
irrégularités que présente la
blessure proviennent des mouvements de l'enfant
pendant son séjour sur la plaque
brûlante.
Le dessin représente la cicatrice
violacée et les traces de la brûlure,
telles qu'on a pu les relever cinquante jours
après que la blessure a été
faite.
2° Fac-similé
de la blessure de la jeune Victorine
Hénault, de Saint-Léger-Vauban
(ce fac-similé est
également représenté en noir
sur le journal)
NOTA : Cette enfant a été
placée sur le poêle dans les
mêmes conditions que la première.
Contrairement à celle-ci, mais par un
mouvement également instinctif qui la
portait à dégager la plus grande
partie possible de son corps, elle aura
évité le contact du rebord du
poêle en se rejetant en arrière. C'est
ce qui explique que les cicatrices
présentent non plus le rebord uni du
poêle, mais les losanges et les dessins
à jour du milieu.
Les traces laissées par la brûlure
sont reproduites plus haut telles qu'on a pu les
observer et les relever soixante-dix jours
après la blessure faite. Les deux enfants
sont âgées de 7 à 8 ans.
Voilà ce que les bonapartistes et
cléricaux appellent : "rien, absolument
rien."
Voilà ce que M. le préfet de la
Seine, éprouvant le besoin de perdre une
belle occasion de se taire, appelle "brûlure
légère, insignifiante, et ne laissant
aucune trace."
C'est égal : c'est tout de même dur
à convaincre, des jésuites ! Mais,
cette fois, espérons-le, ça y est
!
|
|
Le fac-similé de la soi-disant
brûlure de la jeune Quénault vu sur le papier est aussi
exagéré que le certificat donné par M. le
docteur Simon.
Quant à celui de la soi-disant brûlure également
de la jeune Victorine Hénault, il est complètement faux
et de pure invention ; cette enfant a été
visitée par un docteur en médecine en ma
présence, et j'affirme qu'elle n'a rien qui ressemble au
fac-similé de l'Yonne. La jeune Hénault,
questionnée pour savoir si elle avait été
brûlée, a déclaré à moi et à
bien d'autres qu'elle n'avait rien senti.
Tribunal correctionnel
d'Avallon
|
Nous ne croyons pouvoir mieux faire ici que
d'emprunter au journal la Bourgogne l'exposé de
l'audience avec les considérations de son rédacteur en
chef, M. E. Robert, qui la précèdent et la suivent.
Auxerre,
mercredi, 18 avril 1877
Le
Tribunal correctionnel d'Avallon a rendu mardi soir
17 avril 1877 le jugement dont la teneur suit :
"Le Tribunal, après
en avoir délibéré,
Attendu que s'il est constant que Marie Gally, en
religion soeur Saint-Léon, a placé
successivement, le 17 janvier dernier, pendant un
instant, Henriette Quénault et Victorine
Hénault, ses élèves, sur le
poêle de sa classe ;
Qu'il résulte de l'instruction et des
débats que Victorine Hénault n'a
éprouvé aucune douleur, n'a
poussé aucun cri, que Henriette
Quénault, qui criait et pleurait avant
d'être soulevée sur le poêle, a
cessé ses cris dès qu'elle a
été descendue, qu'elle a
regagné sa place sans proférer aucune
plainte ;
Attendu qu'un des principaux caractères de
la brûlure est une douleur aiguë,
cuisante, d'une durée d'une heure au moins,
que cette douleur proportionnée à
l'étendue de la surface que présente
la brûlure, se fait sentir vivement, surtout
dans les brûlures au 1er et au 2e
degrés ;
Qu'il est inadmissible, vu l'absence d'une
manifestation de douleur, que la blessure dont
Henriette Quénault porte la trace et que les
marques constatées sur la cuisse droite de
Victorine Hénault soient le résultat
de l'apposition de ces enfants sur le poêle
et de brûlures dont la soeur aurait
été l'auteur ;
Que les contradictions dans les diverses
déclarations de la jeune Quénault,
son allégation de s'être
brûlée sur une chaufferette, ne
permettent pas d'ajouter une foi entière
à son témoignage qui n'est
corroboré ni par des preuves, ni par des
constatations immédiates ;
Attendu que LA PREUVE DU DÉLIT NE
RÉSULTE NI DE L'INSTRUCTION NI DES
DÉBATS, QU'IL EST IMPOSSIBLE DE RATTACHER
LES BLESSURES A UNE FAUTE QUELCONQUE COMMISE PAR LA
SOEUR SAINT-LÉON, RENVOIE CELLE-CI DES FINS
DE LA PLAINTE, SANS DÉPENS."
Voilà donc le
dénouement de cette ignoble comédie
qui a fait pendant deux mois les délices de
tous les radicaux, francs-maçons et impies
de France et de Navarre !...
La voix de l'impartiale Justice qui plane au-dessus
de toutes les haines et de toutes les passions,
proclame hautement l'innocence de cette
institutrice qui porte l'habit de
l'abnégation et du dévouement et
qu'on a voulu flétrir honteusement, qu'on a
abreuvée d'odieuses calomnies !
Que deviennent maintenant, en face de cet
arrêt de la Justice, les ROTIES de
l'Yonne, la MARTYRE de la
Constitution, l'indignation d'un Raspail
en plein Parlement, les rigueurs inqualifiables
sollicitées par le sous-préfet
d'Avallon, les exigences démocratiques
du citoyen Sigismond Lacroix manifestées
au conseil général de la Seine ?
L'iniquité tôt ou tard est
écrasée par la Justice qui, devant
Dieu et devant les hommes, finit toujours par faire
triompher la vérité ! Il faut avoir
assisté à ces débats pleins de
révélations écoeurantes, il
faut avoir senti le frémissement de
l'indignation circuler comme une étincelle
électrique dans l'âme des auditeurs
entassés dans le prétoire, il faut
avoir vu cette explosion de satisfaction, de joie
partie du coeur de la foule émue par tant de
haines ; il faut avoir entendu ce profond soupir de
soulagement pour toutes les consciences
honnêtes, quand la voix de la Justice a
balayé toutes les perfides accusations pour
comprendre quels sentiments d'indignation avaient
engendré d'ineptes calomnies et quel profond
intérêt offrait aux esprits droits et
aux coeurs honnêtes, l'innocente victime
bafouée, vilipendée, accusée
d'avoir rôti et martyrisé ces deux
petites créatures dont le premier mouvement,
en entendant justifier leur douce maîtresse,
a été de se jeter dans ses bras en
pleurant de joie et d'amour !
Pauvres enfants ! Elles ne savent pas le bien
qu'elles ont fait au coeur de cette digne femme, de
cette vertueuse religieuse dont on avait voulu
flétrir le caractère et l'honneur
!
Dieu merci ! Justice est faite: justice sera faite
encore: car tout n'est pas fini et, si l'innocence
est justifiée, la calomnie devra s'incliner
à son tour devant la vérité
!
Nous avons été assez accusés,
à propos de cette triste affaire, de
mensonge, d'hypocrisie, que sais-je encore ? par
l'Yonne et ses commères, pour que
nous souhaitions que les masques soient
arrachés et que tous, amis, adversaires,
ennemis voient bien quels sont les fronts
stigmatisés par l'effronterie, l'impudence,
le mensonge et l'hypocrisie !
Nous avons été à la peine, il
sera juste que nous soyons à l'honneur !
Nous demanderons toute la bienveillante indulgence
de nos lecteurs, avant de leur esquisser, à
l'aide de notes incomplètes et de notre
mémoire, les débats de cette longue
et pénible séance qui mérite
un examen attentif.
Ce n'est qu'à
grand'peine qu'on pouvait se faire un passage dans
le vestibule à travers les flots
pressés du public, pour parvenir jusque dans
la salle du tribunal.
L'honorable M. Dodoz, président du tribunal,
avait à sa droite M. le juge Deltheil,
à sa gauche M. Perrin, juge
d'instruction.
Le ministère public était
représenté par M. Geoffret, procureur
de la République. Me Rémacle, du
barreau d'Auxerre, était au banc de la
défense : à ses côtés,
M. l'abbé Gally, curé de Saint-Martin
d'Avallon, oncle de la prévenue.
Derrière le bureau de la magistrature et sur
le banc du côté droit, nous avons
remarqué M. Raudot, ancien
député, M. Garnier,
député, M. Alloury, M. de Breuze,
procureur de Châlons-sur-Marne, M. Houdaille,
conseiller à la cour de Nancy, M. Houdaille,
juge de paix à Nancy, M. de la
Giraudière, commandant de gendarmerie du
département, M. Faulquier, ancien juge, M.
de Hertoz, commandant de l'armée
territoriale, M. de Pomblain, M. de la Brosse, M.
de Lézardière, M. de Vaulgrenant, MM.
les docteurs Breuillard et Gagniard, M. de Bogard,
etc., etc.
Sur le côté gauche se trouvaient les
dames de la belle société
avallonnaise qui témoignaient par leur
empressement à braver les fatigues d'une
longue séance, l'intérêt et
l'estime qu'elles portaient à une femme
indignement traitée par les galants
chevaliers de notre presse radicale.
Devant, le bureau occupé par les
rédacteurs de la presse
départementale et quatre ou cinq de nos
confrères de la presse parisienne.
Le XIXe Siècle,
intéressé tout
particulièrement dans l'affaire ?...,
était représenté.
En face le tribunal, l'espace réservé
au public. Les témoins occupaient le milieu
de la salle.
On a été unanime à remarquer
le tact et la bienveillante attention qui avaient
présidé à la disposition des
places, malgré l'empressement extraordinaire
du public.
A midi et quelques minutes, l'affaire de
Saint-Léger-Vauban commençait.
audition
de la prévenue et des
témoins
|
La soeur Saint-Léon
comparait à la barre. Lecture est faite par
M. Bresnot, greffier du tribunal, de l'instruction
judiciaire. L'interrogatoire commence.
M. le Président procède à
l'interrogatoire de la soeur, qui déclare se
nommer Marie-Françoise GALLY, en religion
soeur SAINT-LÉON, âgée de 39
ans, née à Avallon, ayant
demeuré à Saint-Léger-Vauban
et habitant actuellement Sens.
D.
- Vous êtes prévenue d'avoir, le 17
janvier dernier, commis des blessures par
imprudence, inattention, négligence ou
inobservation des règlements sur deux
enfants qui vous étaient confiés pour
les instruire ; veuillez raconter au tribunal ce
qui s'est passé.
R. - La salle de classe de l'école de
Saint-Léger forme un carré de 12
mètres de chaque côté ; la
porte d'entrée est placée en face
d'un poêle système Leras, qui se
trouve au milieu de la pièce. Les
élèves, dont le nombre passe cent,
sont séparées : les grandes à
droite, les petites à gauche, et pour que ma
surveillance s'exerce plus facilement, je reste
près du poêle, sur lequel se trouvent
les livres, les cahiers, les plumes qui me sont
nécessaires pour l'enseignement.
Le 17 janvier, la classe du matin avait
commencé à 8 heures et demie environ,
et je faisais une dictée aux grandes,
lorsque je m'aperçus qu'Henriette
Quénault et Victorine Hénault se
querellaient au sujet d'un bon point. Je leur
imposai silence mais, quelques minutes plus tard,
la querelle recommença ; je les
séparai en les plaçant aux deux
extrémités de leur banc. Elles se
rejoignirent et la querelle s'éleva pour la
troisième fois. Je pris alors le parti de
mettre entre elles la distance entière de la
classe, et j'en plaçai une derrière
moi.
Peu d'instants après, ces enfants
trouvèrent le moyen de tromper ma
surveillance, et celle qui était
derrière moi s'échappa et rejoignit
sa compagne. Pour la quatrième fois, la
querelle reprit et elles en vinrent aux coups.
Voulant faire un exemple, je pris une des enfants,
je l'élevai sur le poêle en lui
disant: "Seras-tu sage ?" Sur sa réponse
affirmative, je la descendis immédiatement
du haut du poêle ; je pris l'autre que je
plaçai également sur le poêle,
en lui faisant la même question : "Seras-tu
sage ?" L'enfant me fit la même
réponse et je lui dis comme à la
première : "Va à ta place."
Pendant cet incident, deux ou trois minutes
s'étaient à peine
écoulées, et je n'avais pas
abandonné, un instant, les enfants, qui ne
sont restées sur le poêle que le temps
de leur poser ma question et de recevoir leur
réponse.
Jusqu'à la fin de la classe, les deux
enfants ne poussèrent aucune plainte ; rien
ne se produisit pendant la récréation
; rien pendant la classe du soir. Le lendemain
était jour de congé, je n'entendis
parler de rien. Le vendredi seulement, la femme
Hénault vint se plaindre que sa fille avait
reçu une brûlure ; quand la
supérieure me prévint de l'accident
arrivé à deux petites filles, je
répondis que c'était impossible, que
le poêle n'était pas assez chaud, et
que les enfants n'y étaient restées
que le temps de demander à chacune :
"Seras-tu sage ?" et de les entendre me
répondre : "Oui. ma tante "
La femme Patru se plaignit aussi le vendredi. Elles
revinrent le samedi, et je n'entendis parler de
rien jusqu'au vendredi de la semaine suivante.
C'est ce jour que M. le docteur Simon visita la
petite Quénault. M. le Sous-Inspecteur des
enfants assistés de la Seine vint, le
samedi, et emmena Henriette Quénault.
Quelques jours s'écoulèrent. Un
inspecteur de l'assistance publique arriva à
Saint-Léger ; il interrogea plusieurs
personnes, et ne m'adressa aucun reproche.
Le 6 février, la gendarmerie fit une
enquête et fit subir un interrogatoire
à l'enfant, qui était à
Beauvillers.
M. l'Inspecteur primaire fit également une
enquête, à la suite de laquelle il dit
aux élèves de l'école : "Il
n'y a là qu'une calomnie, et c'est à
vous, mes enfants, à démentir cette
calomnie qui attaque votre maîtresse."
Le 25 février, je recevais ma
révocation.
D. - Avez-vous recommandé à Henriette
Quénault de dire qu'elle s'était
brûlée sur une chaufferette ?
R. - Non, Monsieur.
D. - Vous avez eu connaissance de la brûlure,
le vendredi, par l'intermédiaire de la
supérieure ?
R. - Oui.
D. - Une autre enfant a dit que vous l'aviez aussi
brûlée ; mais, dans l'instruction,
elle a reconnu qu'elle avait fait un
mensonge.
La rôtie, la
martyrisée, âgée de huit
ans, qui avait déclaré
s'être brûlée sur une
chaufferette, donne plusieurs réponses
contradictoires avec ses dépositions devant
le juge d'instruction. M. le Président, se
mettant à la portée de cette petite
fille, obtient d'elle qu'elle a été
placée sur le poêle, que la soeur ne
lui a pas relevé les jupons, qu'elle n'a pas
senti de douleur sur le moment, que la soeur ne lui
a point recommandé de dire qu'elle
s'était brûlée sur une
chaufferette !...
L'auditoire en entendant un tel témoignage
ne peut retenir un murmure d'indignation contre les
exploiteurs de cette victime !
Manouvrière
à Saint-Léger, 59 ans,
nourricière de la petite Quénault,
déclare qu'elle a remarqué, sur une
plainte de l'enfant, une tache noirâtre,
rougeâtre, sur la cuisse gauche (elle est
fort embarrassée du reste pour expliquer la
teinte !) "sans cloches" "un tout petit peu"
étendue "comme son petit doigt", fort petit
du reste, car la petite femme est d'une maigreur
peu ordinaire ; que l'enfant ayant mouillé
ses draps dans la nuit, la plaie s'est
envenimée et qu'elle y a apposé un
peu d'ouate imbibée d'huile, qu'elle n'a pas
de chaufferette, que l'enfant n'a pas cessé
de suivre la classe et que la supérieure,
elle même, l'a fait demander le vendredi
matin pour la questionner sur l'origine de la
blessure.
Interrogée si elle n'a pas reçu tout
dernièrement la visite de quelqu'un qui lui
promettait de lui faire ravoir, dans 24 heures, la
petite Henriette que l'administration des enfants
assistés lui a retirée, elle
répond qu'elle n'a pas été
"sollicitée" mais qu'elle a vu un monsieur
"grand, pas gros" elle ne sait pas s'il avait de la
barbe, qui lui avait parlé de
dommages-intérêts (impression profonde
dans l'auditoire).
Ah ! çà, quel nouveau mystère
y aurait-il encore là dessous ? Patience, un
tout petit instant.
La seconde enfant
rôtie !... cette petite fille,
âgée de six ans, en réponse aux
questions qui lui sont posées, dit qu'elle
se battait avec Henriette, que la soeur l'a
placée un instant sur le poêle, sans
lui relever les jupons, pour lui faire promettre
d'être sage, qu'elle a éprouvé
du mal, qu'elle a vu "chez eux" un monsieur qu'elle
ne connaît pas, qui l'a engagé
à dire cela. (dans l'instruction, l'enfant
avait affirmé n'avoir rien senti)
-
Il vous a dit de dire que ça vous avait fait
mal ? Il vous a promis de l'argent ?
- Oui ! à maman et à moi aussi
!... (indignation
générale)
Manouvrière,
âgée de 39 ans, demeurant à
Saint-Léger-Vauban, raconte qu'elle a
entendu dire par des enfants, le soir à 4
heures, que Victorine avait été
brûlée - elle n'en savait rien -
Victorine n'avait rien éprouvé.
Elle n'a pas à se plaindre de la soeur
"très bonne" pour ses enfants,
"çà n'en consistait pas là
peine."
Elle a reçu la visite d'un MONSIEUR qui "a
trouvé la petite fille très
gentille", "qui n'a pas regardé les traces
de brûlure", qui lui a dit qu'elle pouvait
réclamer contre la soeur des
dommages-intérêts !...
On entend ensuite les
dépositions successives de trois jeunes
filles de 13 à 14 ans, Marie Poulain. Marie
Valetat, Marie Brissard, trois Marie !... qui sont,
à peu de chose près, unanimes
à avouer que la soeur n'a fait que poser les
enfants sur le poêle - qu'il y a eu avant des
cris, mais ni cris, ni pleurs, ni gestes, ni
plaintes, pendant - que la soeur est très
bonne.
Supérieure de
l'école de Saint-Léger, 45 ans,
expose qu'elle apprit le vendredi 19 janvier, par
la femme Hénault, que la petite
Quénault avait une brûlure, qu'elle
fit appeler l'enfant alors en classe et lui demanda
où elle s'était brûlée
?
-
Chez elle,
répondit-elle, sur
une chaufferette à maman !
Elle fit mander aussitôt la femme Patru qui
lui dit n'avoir pas de chaufferette. La soeur
Saint-Léon, qui ignorait tout encore, fut
très surprise quand la supérieure lui
parla de cette brûlure. Elle se rappela que
le mercredi matin, elle avait élevé
l'enfant sur le poêle ; mais elle ne pouvait
s'expliquer dans les conditions de chauffage, par
une température très-douce, un tel
accident.
Médecin à
Avallon, 48 ans, dépose que le 8 mars, il
fut appelé dans une enquête judiciaire
à Saint-Léger avec ses deux
confrères, les docteurs Royer et Simon. Ils
constatèrent que Henriette Quénault
portait à la partie moyenne et
postérieure de la cuisse gauche une rougeur
de 0,10 m. de long sur 0,025 m. de large, en forme
de croissant, qui disparaissait sous la pression.
Il n'y avait ni douleur ni tuméfaction, pas
de trace de cicatrice.
-
Si l'on n'avait eu aucun renseignement
antérieur, ajoute
le docteur, il
y aurait eu incertitude si cette rougeur
était due à une brûlure !
Le degré ne
dépassait pas le 2e, l'enfant n'a pas
été alitée ; la brûlure
n'a pas altéré l'organisme ; il y
avait des traces de furoncle autre part que sur la
plaie.
M. le docteur Bert affirme que les brûlures
des 1er et 2e degrés sont des plus
douloureuses et qu'elles ne peuvent être
supportées sans cris de souffrance ; la
douleur proportionnée à
l'étendue de la brûlure doit durer au
moins quelques heures ; il ne peut comprendre
qu'une enfant ainsi brûlée ne
manifeste pas de douleur.
Les docteurs constatèrent sur la cuisse
droite de la partie supérieure de la petite
Hénault une trace, qu'il était
impossible alors de savoir si elle provenait d'une
brûlure. Si elle provenait d'une
brûlure, c'était d'une brûlure
du 2e degré qui provoque de vives douleurs,
et il eut fallu une enfant héroïque
pour la supporter sans crier !...
Quant à une troisième
rôtie, il n'a constaté aucune
trace de brûlure et croit que c'est tout
simplement une invention.
Médecin à
Rouvray, âgé de 40 ans, affirme
à peu près dans le même sens
que M. le docteur Bert, mais avec plus de
précision, que la trace constatée
avec ses confrères sur la partie
inférieure de la cuisse gauche de la petite
Quénault, de 0,09 m. de long sur 0,025 m. de
large, peut être la cicatrice d'une
brûlure partie du 1er degré, partie du
2e degré.
Que dans l'hypothèse d'une telle
brûlure, il aurait fallu que la peau
fût en contact immédiat avec le
poêle, qu'une douleur très-vive se
serait manifestée, qu'il est impossible
qu'elle n'arrachât pas des cris et que la
souffrance n'eût pas une durée de une
à deux heures.
Il ne croit pas que la trace de la seconde enfant
soit produite par une brûlure sur le
poêle.
Médecin à
Quarré-les-Tombes, raconte quand, comment et
pourquoi il a donné les dimensions du
pansement et non de la brûlure
dans cette pièce, qui a
été si bien utilisée par le
sous-préfet d'Avallon, et qui a servi de
base à tout l'échafaudage de cette
fameuse affaire. Nous passons donc outre.
Il est du reste à peu près d'accord
avec ses confrères sur les constatations
médico-légales qu'il a
diagnostiquées avec eux dans
l'enquête.
Il insiste un peu trop, mais c'est que ce monsieur
a son amour-propre en jeu.
.
Ici, nous n'avons pas de question
d'amour-propre,
lui fait observer avec une finesse qui a son
piquant et qui fait naître plus d'un sourire
dans l'auditoire l'honorable président du
tribunal.
Ce monsieur convient, du reste, que la
brûlure du 2e au 3° degré
d'Henriette Quénault a dû occasionner
a une douleur vive, aiguë, puissante, que
"sans doute" l'enfant a dû crier, pleurer ;
que la douleur à l'état aigu peut
durer d'une demi-heure jusqu'à deux ou trois
heures.
Petit,
Inspecteur des enfants assistés
|
Chargé de
l'arrondissement d'Avallon, âgé do 36
ans. M. l'inspecteur expose que, dans une
première visite à Saint-Léger,
il a appris des nourriciers mêmes qu'il n'y
avait qu'une imprudence dans cet accident,
qu'après avoir adressé son rapport,
il a reçu, le 2 février, une
lettre avec signature illisible, que le fait
serait porté à la connaissance de la
Chambre. Il a accompagné l'inspecteur
général dans une seconde
enquête - excellents renseignements sur la
soeur qui est réputée très
bonne.
Maréchal,
Inspecteur primaire
|
Quarante ans, en
résidence à Avallon. Il a entendu
dire, ce bon monsieur, que la soeur attisait le feu
pendant que les enfants étaient sur le
poêle ! Mais il paraît que cela a
été démenti ! (hilarité
générale)
D'après son enquête, des
élèves auraient dit que les petites
rôties criaient avant, les autres
pendant, deux ou trois après ! Quand M. le
président lui demande qu'elles sont les
manières habituelles de la soeur, il
répond qu'elle "ne brutalise pas", qu'elle a
déjà infligé cette punition
!
-
Souvent ? demande
M. le président.
-
Une autre fois, mais c'était pendant
l'été !
Bourgeat,
lieutenant de gendarmerie
|
M. Bourgeat dépose
qu'à la réquisition du
sous-préfet d'Avallon, il a fait dresser un
procès-verbal qui fait partie de
l'instruction.
Devant M. le juge d'instruction, les
élèves ont déclaré que
la petite Quénault s'était
débattue auprès du poêle.
Maulmont
Sigismond, Sous-Préfet d'Avallon
|
Cinquante-un ans. M.
Maulmont dépose qu'ayant appris qu'une
enfant avait été brûlée
dans l'école de Saint-Léger, il a
fait faire une enquête par la
gendarmerie.
Interrogé par M. le président comment
il avait appris l'accident, M, Maulmont
répond :
-
Par la voix publique.
- Mais le parquet n'en savait rien
! reprend M. le
président.
-
Moi, je le savais,
répond M. Maulmont.
Je dois m'inquiéter de ce qui se passe dans
les écoles.
Nouvelle
interrogation de M. le président pour savoir
comment M. le sous-préfet avait appris
l'accident. Même réponse :
-
Je le savais par "la voix publique", je dois
m'inquiéter de ce qui
se... etc.
-
Veuillez vous asseoir, monsieur le
sous-préfet.
La déposition de M.
Marchand, notaire à Saint
Léger-Vauban, maire révoqué de
cette commune, âgé de 41 ans, est
assurément des plus nettes et des plus
intéressantes. C'est avec la plus
scrupuleuse attention qu'on écoute
jusqu'à la fin cet important exposé
fait avec une lucidité remarquable, par un
homme des plus honorables, qui jouit de l'estime
générale et qui a été
l'objet de regrettables
sévérités administratives pour
avoir pris la défense de la justice et de la
vérité (on peut le dire bien haut
maintenant) contre les allégations
impudentes de la feuille radicale. Nos lecteurs
connaissent partout ce que nous avons publié
sur cette affaire, les détails et l'ensemble
de la déposition de l'honorable M. Marchand.
Un détail inédit, croyons-nous. M. le
sous-préfet n'avait demandé aucun
renseignement à M. le maire de
Saint-Léger Vauban ! Quand celui-ci eut
l'honneur de lui faire une visite, il le trouva
très surexcité, essaya de
détruire ses premières impressions et
crut voir chez lui un parti pris.
La fin de la déposition de M. Marchand est
plus inédite encore : M. Marchand a vu,
à deux reprises, il y a huit jours M. ALBERT
GALLOT, propriétaire de l'Yonne,
à Saint-Léger-Vauban ! (mouvement
prolongé dans l'auditoire) Le bruit a
circulé dans la commune que M. Gallot a
circonvenu la femme Hénault pour l'engager
à se porter partie civile. La mère
Patru a affirmé ces excitations de son
côté. (nouvelle indignation)
Un joli lapsus linguae échappé
à M. le président :
-
Veuillez vous asseoir, monsieur le maire
! Errare
humanum est !
Imprimeur à
Auxerre, interrogé sur l'origine des
renseignements qui ont été
publiés par l'Yonne, répond
qu'il n'est pas rédacteur, qu'il n'est pas
gérant, qu'il est simple propriétaire
de cette feuille, qu'il ignore les
correspondances.
Interrogé sur la provenance des dessins
qu'il a publiés avec un en-tête
adressé au préfet de la Seine et aux
sacristains, etc., il renouvelle sa réponse
qu'il est tout disposé à ne pas
varier.
M. le président aborde alors une autre
question :
-
Est-il vrai que vous ayez rendu visite à la
femme Patru ?
- Oui, monsieur le président.
- Que vous lui avez proposé de lui rendre
son enfant avant vingt quatre heures ?
(hilarité
générale) Femme
Patru, reconnaissez-vous ce monsieur ?
- Oui, Monsieur, c'est bien lui.
- Vous alliez donc à Saint-Léger pour
relever les brûlures ?
- Non, j'étais à Saint-Léger
pour mes affaires ; j'ai voulu savoir si les
brûlures subsistaient.
- Vous engagiez à demander des
dommages-intérêts ; vous vous
êtes chargé de fixer le chiffre,
paraît-il, à 3 000 francs ?
- J'ai dit qu'on pouvait demander des
dommages-intérêts et j'ai pu parler,
dans la conversation, de 1 000 ou 2 000 comme de 3
000.
- Vous reconnaissez-vous l'auteur du
fac-similé publié dans
l'Yonne ?
(mouvement d'indignation dans l'auditoire)
L'audition des
témoins est terminée ; nous avons
fait tous nos efforts pour résumer aussi
succinctement que fidèlement les
dépositions.
On nous pardonnera les inexactitudes qui se
seraient glissées involontairement dans un
travail aussi ingrat.
M. le président suspend l'audience, à
la satisfaction générale, pendant dix
minutes.
A trois heures moins un
quart, M. le procureur de la République
commence son réquisitoire.
Le récit des faits est exposé par M.
Geoffret avec une grande clarté et
réduit à ses proportions exactes.
1° La soeur Saint-Léon a-t-elle voulu
infliger une punition en plaçant sur le
poêle les deux petites filles ? La souffrance
physique a-t-elle été la peine
visée ?
- Non, répond M. le Procureur. Aucun
témoin n'a osé le soutenir. Le
parquet ne le soutient pas plus.
2° La brûlure a-t-elle eu lieu sur le
poêle ou autour ?
- Sur le poêle, répond M. le
Procureur, la marque des ornements semble le
prouver d'après les traces constatées
sur la seconde enfant, bien qu'elles n'en valent
pas la peine.
3° Quelle gravité fixer aux
brûlures ?
- Deux médecins sont d'accord pour fixer
à l'une le 1er degré, à
l'autre un caractère du 1erau 2e
degré, dans la classification de six
degrés.
Quant au docteur Simon, il avait avoué qu'il
s'était trompé involontairement ; il
semble revenir ; il a été
relevé ; il craint qu'on doute de sa bonne
foi ; sentiment exagéré
d'amour-propre qui le porte à
rétablir le 3e degré qu'il avait
rétracté.
4° Les enfants ont-ils été
gravement brûlés ? ont-ils souffert
?
- L'une ne s'en est pas aperçue ; l'autre a
une plaie ; a peu souffert ; ne s'est pas plainte ;
elle a été brûlée.
La prévention reproche donc à
l'institutrice d'avoir placé l'enfant sur un
poêle allumé et d'avoir commis une
imprudence qui aurait été
aggravée par des égratignures
à la suite de démangeaison et par la
malpropreté.
M. le procureur demande donc que la soeur
Saint-Léon soit condamnée pour avoir
par maladresse causé une blessure.
-
Vous me demanderez, ajoute M. le Procureur,
pourquoi exercer des poursuites pour cette blessure
par imprudence quand vous pourriez nous signaler
une foule de cas plus graves que nous n'avons pas
cru devoir poursuivre, par exemple, celui d'un
père qui a imprudemment causé la mort
de son enfant ? D'abord, vous excéderiez vos
pouvoirs. Nous avons le droit de poursuivre dans
tous ces cas ; l'application nous concerne. Ainsi,
si nous n'avons pas poursuivi le père, c'est
que nous croyions que les résultats de son
imprudence étaient la plus terrible des
répressions qu'il eut été
inhumain d'aggraver par une nouvelle peine.
Du reste, la poursuite contre la soeur
Saint-Léon a été dictée
hiérarchiquement, vous le savez.
Dans quelles limites formuler la condamnation de
soeur Saint-Léon ? Il y a en sa faveur
d'excellents témoignages ; vingt ans de
service ; la pétition adressée par
les habitants à l'autorité
compétente ; la
légèreté de la blessure ; la
répression infligée à
l'institutrice par l'autorité
administrative.
Vous accorderez donc les circonstances
atténuantes ; mais je requiers formellement
l'application de la loi.
Après ce
réquisitoire que nous avons essayé de
résumer aussi exactement que possible, la
parole est donnée au défenseur.
Il nous serait impossible
de reproduire le magnifique plaidoyer de Me
Rémacle, l'éminent avocat du barreau
d'Auxerre, qui a dissipé les
ténèbres accumulées autour de
cette affaire de rien ! de rien ! et qui a su faire
ressortir la vérité par un
éclatant triomphe.
Rarement notre avocat auxerrois, dont le talent
grandit chaque jour, avait déployé
plus de vigueur pour flétrir de coupables
manoeuvres, pour démasquer les
calomniateurs, plus d'habileté pour
anéantir complètement les malsaines
impressions que pendant deux mois on avait
essayé d'infiltrer dans l'opinion
publique.
Me Rémacle a compris qu'il avait là
une importante et noble mission à remplir ;
il savait que sa parole ardente, convaincue, aurait
pour effet de relever l'honneur d'une femme, d'une
religieuse, que toute la presse radicale bafoue
sans vergogne, de faire éclater son
innocence dans un fait odieusement
dénaturé, plus odieusement encore
exploité ; aussi il a su trouver des accents
qui ont troublé plus d'une fois l'âme
de son auditoire.
Nous devons à cet éloquent
défenseur d'une cause qui intéressait
la France catholique tout entière,
grâce à l'exploitation ridicule qui en
avait été faite, l'hommage de notre
profonde gratitude.
Que Me Rémacle nous pardonne de
résumer à grands traits, en faisant
appel à nos souvenirs et à nos
impressions toutes vivaces encore, sa victorieuse
réfutation.
C'est sous le sentiment de l'indignation que
l'avocat a pris la parole. Cette indignation, dont
les tristes révélations des
débats avaient rempli l'auditoire,
débordait de tous les coeurs.
Aussi, à peine avait-il manifesté son
étonnement des conclusions du
réquisitoire, que le défenseur s'est
demandé de quel droit M. Gallot,
propriétaire du journal l'Yonne,
venait se poser dans cette affaire "en magistrat
instructeur d'une nouvelle sorte."
"
J'étais loin de m'attendre, en venant ici,
s'est-il
écrié, à
des actes de cette nature. On connaît
l'individu de longue date ; mais ceci
dépasse la mesure."
Et nous avons
dû savourer encore une fois cette lecture du
premier article de l'Yonne, dont
l'inspirateur n'a pas encore osé lever le
front ; le défenseur accentuait chaque
fragment, et l'on sentait l'indignation de
l'auditoire monter insensiblement. Nous avons
aperçu en ce moment la bonne soeur
Saint-Léon et sa supérieure ; les
larmes sillonnaient leurs visages ; dignes et
saintes femmes ! Elles murmuraient peut-être
tristement, du fond de leur coeur brisé, un
mot de pardon pour l'infâme qui les
transformait en bourreaux !
Le défenseur a qualifié l'article par
ces deux mots : Quelle
perfidie ! Quelle hypocrisie
! Et
c'était assez.
Puis est venu le second article de l'Yonne
dans lequel elle répond aux protestations
indignées de la
Bourgogne et du
Nouvelliste,
en nous jetant à la face, dans une
phraséologie plus ou moins grossière,
les insultantes épithètes
d'imposteurs, de menteurs, de tartuffes et ce
suprême défi : "On vous attend
!"
Eh bien ! nous voici ! Le tribunal a pu entendre
cette flétrissure :
-
M. Gallot avait menti encore une fois ! On ne les
compte plus chez lui les mensonges !
Continuant
l'historique de l'affaire, le défenseur a
rappelé l'interpellation de M. Raspail. Il
s'est souvenu qu'un membre de la Chambre, M.
Lepère, son ancien confrère du
barreau d'Auxerre "si fervent autrefois, si
dévot, pour qui, dans les banquets de
confraternité qui les réunissaient le
jeudi soir, à partir de minuit, le jeudi
devenant un vendredi, il n'était plus permis
de faire gras", avait appuyé cette
interpellation par ce cri : "II y a un certificat
de médecin !"
-
Espérons, s'est écrié
l'orateur, que M. Lepère,
vice-président de la Chambre, trompé
dans cette affaire, se souviendra de la
vérité, et dira à la Chambre :
CECI EST UNE INFAMIE ! Je crois bien qu'il le fera
; il ne peut pas ne pas le faire.
Et puis arrive le
Conseil général de la Seine, avec
l'article de l'Yonne du 10 avril, l'article
à sensation agrémenté d'images
!... vous savez, ces fac-similés
éblouissants, chose inconnue dans les
fastes de la presse française, dont M.
Gallot n'a pu indiquer la provenance à M. le
président du tribunal !...
Vous savez, ce fac-similé
"dédié à M. le préfet
de la Seine, et aussi à MM. les
curés, desservants, sacristains, etc., etc.,
à saint Ordre-Moral, aux doux anges de la
faction bonapartiste, à toutes ces
âmes candides et pures qui ne peuvent croire
à la perversité humaine, aux braves
et honnêtes gens, qui, faute de
renseignements, par bonté de coeur et
d'esprit de charité nous traitent de
menteurs, d'imposteurs, de calomniateurs, etc.,
etc., uniquement pour l'amour de Dieu et la
protection des petits enfants."
Et cette terminaison :
-
C'est égal : c'est tout de même dur
à convaincre des jésuites ! mais,
cette fois, espérons-le, ça y est !
Ah ! Monsieur Gallot, ça y est,
riposte le
défenseur,
vous croyez qu'on n'est point las de vos calomnies
et de vos injures ? Ah ! ça y est ! Eh bien
! vous allez être poursuivi peut-être
pour subornation de témoins, poursuivi pour
diffamation. "Je ne suis pas gérant, je suis
simplement propriétaire",
répondez-vous piteusement. C'est lâche
et peu démocratique. Vous payez un homme que
vous louez et payez à tant l'année,
c'est brave ? Quand l'Yonne insulte
l'armée, on ne va pas toujours chercher le
gérant responsable !
Et rappelant
toutes les condamnations infligées à
l'Yonne :
-
Quelle compensation obtient M. Gallot en retour
? se demande
l'avocat, les
gens de son parti se servent de lui comme d'un
instrument utile, compromettant...
Tous les
régimes ont été
encensés à tour de rôle par
l'Yonne qui, si l'on juge de l'avenir par le
passé, redeviendra cléricale et tout
ce que l'on voudra, en sorte qu'on pourrait ajouter
à la fameuse enseigne : A la Bible-d'Or
:
AU DERNIER ET PLUS OFFRANT ENCHÉRISSEUR,
BOITE A VENDRE OU A LOUER AVEC TOUTE LA
BOUTIQUE
ET TOUT LE PERSONNEL PRÉSENT ET PASSÉ
!...
Si le tableau n'est pas flatteur, il a du moins le
mérite d'être fidèle.
Et en face de cet adversaire, comme l'on peut se
donner le plaisir de placer le casier judiciaire de
la soeur Saint-Léon avec ses vingt ans de
travail et de dévouement !
-
Le casier judiciaire d'une religieuse ! Oh !
s'est
écrié Me Rémacle, dans un
magnifique mouvement d'éloquence,
nul
ne respecte plus que moi la religieuse, et je suis
trop fier d'être honoré d'une si belle
défense !
Et après avoir tracé un
émouvant tableau de la vie de ces femmes qui
joignent à toutes les vertus
chrétiennes les plus belles vertus sociales
:
-
Je voudrais bien qu'on tente d'insulter dans la
rue, et devant moi, une femme, une religieuse
! a-t-il dit, avec
une expression dans le regard plus éloquente
que ses paroles !
-
Comme il fait bon parler dans l'enceinte de la
justice ! Comme on y respire à l'aise dans
cette atmosphère si calme, si pure.
Le
défenseur ne s'y trompait pas : sous le
souffle vivifiant de son ardente parole, on se
sentait à l'aise, on s'élevait
au-dessus des bassesses, des turpitudes des
passions radicales.
On pouvait suivre avec satisfaction la
justification de l'innocence, le triomphe de la
vérité que le défenseur a su
faire éclater avec une démonstration
aussi brève que saisissante.
Laissant donc de côté le bourreau
(la soeur Saint-Léon!) le
défenseur s'est emparé des
victimes. Il est entré dans la
discussion des faits et, s'appuyant sur les
déclarations des docteurs Bert et Royer, a
fait ressortir avec assez d'insistance pour avoir
été parfaitement compris la
fausseté de la première affirmation
du docteur Simon, d'une BRULURE de 15 à 20
centimètres de long sur 10 à 12
centimètres de large, du 2° et 3e
degré, d'une BRULURE et non d'une CROUTE,
comme il l'a dit plus tard ; il lui a fait sentir
la légèreté de cette
affirmation positive, cause de tout le mal qui a
été fait ; l'a
félicité d'avoir, lui, témoin
dans une affaire, adressé à
l'Yonne des détails, à la
veille des débats, et à quel journal
! et enfin l'a complimenté sur la nomination
de membre des inspecteurs des pharmacies, etc., de
l'arrondissement, qu'il venait de recevoir de
l'administration préfectorale.
-
On ne vous révoque pas,
vous, lui a-t-il
dit, faisant allusion à sa situation de
médecin des enfants assistés,
on
vous encourage.
Heureux docteur ! La vie est pour lui un chemin de
roses et sans épines. Puisse le souhait
d'acquérir un peu plus d'expérience,
que lui a offert Me Rémacle, en terminant,
lui porter bonheur !
Après avoir démontré
juridiquement que la brûlure imputée
à l'imprudence de la soeur
Saint-Léon, dénuée
complètement de preuves, n'offrant pas
même aux parties civiles matière
à réclamer des
dommages-intérêts, ne pouvait pas
tomber sous le coup des lois pénales,
l'éloquent défenseur a exprimé
à M Maulmont le désir et
manifesté l'espérance que M. le
Sous-Préfet, ayant contribué
largement à faire retomber sur la tête
de la soeur Saint-Léon les
sévérités administratives,
s'empresserait, après la
démonstration de l'innocence de
l'institutrice, de demander à ses
supérieurs hiérarchiques sa
réhabilitation, afin qu'elle fût
rendue à l'amour de ses enfants et à
l'affection des habitants de Saint-Léger qui
la réclament.
Inutile de dire que tous les coeurs honnêtes,
après l'arrêt du tribunal,
bénissaient cette noble magistrature qui,
fidèle à ses grandes traditions
d'impartialité et d'honneur, demeure le plus
ferme rempart des droits et des libertés
sociales !
Et maintenant aux calomniateurs ! "On vous
attend !"
E.
ROBERT
|
|
Et
maintenant que le Tribunal d'Avallon a prononcé le
jugement reproduit plus haut, maintenant que son verdict a
réduit à leur juste valeur les calomnies
odieuses accumulées autour de cette affaire, je
considère mon devoir d'honnête homme comme
accompli.
Je m'arrêterai donc ici, laissant à la justice
le soin de réparer par ses arrêts
équitables le mal qui a été fait,
à l'administration celui d'effacer, par des actes de
haute impartialité, les pénibles impressions
qui ont pu être produites par sa précipitation,
qu'expliquent, sans la justifier toutefois, des
renseignements erronés, à l'opinion publique
enfin le droit de déduire de cette affaire les
conclusions légitimes qui en découlent.
Je le répète, en terminant, c'était un
devoir pour moi, imposé par ma conscience,
dicté par l'intérêt de la justice de
fournir ces loyales et franches explications à tous
ceux qui aiment et respecte ce qui ne devrait jamais
être voilé : la vérité !
D.
MARCHAND
Saint-Léger-Vauban, 10
mai 1877
|
Les
vues de Saint-Léger-Vauban qui émaillent cette page
sont dues à Nebojsa, "voyageur solitaire". Elles ont
été prises durant l'hiver 2009-2010.
Vous trouverez ici les centaines de magnifiques clichés de
Nebojsa :
http://www.flickr.com/photos/mladjenovic_n/
Ceux concernant Saint-Léger-Vauban se trouvent dans le
classeur
MORVAN-BOURGOGNE.
erci
de fermer l'agrandissement.
https://www.stleger.info