le résor agique

 

"Où est votre trésor, là aussi sera votre cœur." (Nouveau testament)
"Si vous tournez votre lumière vers l'intérieur, vous découvrirez le secret précieux qui est en vous." (Huei-Nêng)

 

"Le grand-père et l'enfant" - Isabelle Gosset

 

- Grand-père ! Grand-père ? Grand-père….
- Oui… Oui mon petit…
- Tu t'étais endormi ? Tu n'étais plus avec moi ?
- Oh que si ! Mais si tu le penses réellement, excuse-moi de m'être évadé dans un monde qui ne t'appartient pas encore.
- Quel monde, Grand-père ?
- Le monde du trésor qui est en toi.
- C 'n'est pas possible, on ne peut pas avoir de trésor dans son ventre, Grand-père.
- Peut-être pas dans ton ventre, peut-être pas à ton âge, mais je peux t'aider à te constituer une richesse intérieure.
- Comment ça ! Tu peux m'expliquer, Grand-père ?
- Bien sûr, viens près de moi et écoute bien.
- Tu veux que je pousse ton fauteuil près de la fenêtre ?
- Si tu veux, mais fais le rouler doucement, s'il te plaît…Pas comme la dernière fois, d'accord ? Ce n'est pas parce que tu aimes les courses de bolides que je dois devenir pilote à mon âge !
- O.K., O.K.c'est cool...
- C'est quoi ?...
- Bein... c'est cool !
- C'est quoi ??
- Ah oui, restons français ! Je pousserai ton fauteuil tranquillement…
- Je préfère ! C'est cool, pff ! Alors écoute bien… Quand je regarde les vieilles choses, mon esprit vagabonde dans un monde de souvenirs. Je revois les images de ma jeunesse qui, comme tu peux le voir, est quelque peu défraîchie en ces grandes chaleurs estivales. Telle une fleur qui manque d'eau, la jeunesse se fane et perd très vite de ses splendeurs. Arrose ta vie de mille gouttelettes d'émotion. Alimente la source de tes passions. Aie une soif insatiable de curiosité et tu pourras te constituer le plus beau des trésors, celui de la vie.
- Un trésor ?
- Oui, un trésor magique.
- Comment ça, magique ! Il peut transformer les choses ?
- En quelque sorte, oui, mais pas tout de suite. Tu sais, le chemin qui te mène vers le bien est encore loin. Sois patient. Tel le Petit Poucet qui se crée un retour assuré, accumule les bienfaits de la vie et tu pourras, tout comme moi, revenir sur tes joies. Tu vois, lorsque tes pas se feront lourds et pesants, lorsque tu seras seul et loin de tes proches, allonge-toi calmement et laisse toi glisser, doucettement, vers le coffret de ton adolescence. Ouvre-le. Laisse-toi émerveiller. Retrouve les histoires de ta jeunesse et une vitalité intérieure pleine d'émotions heureuses te ressourcera. Le fleuve de ta vie deviendra tranquille. Tu pourras vaincre la routine, la solitude, l'immobilité. Ce coffret, ce trésor, ce jardin secret illumine ma vieillesse et me permet de gambader dans les prés, marcher sur la colline et courir sur les tapis de pâquerettes à l'âge où je ne puis plus.
- Tu racontes n'importe quoi, Grand-père ! Ce n'est pas un vrai trésor ! Il n'y a pas de pièces d'or.

 

 

- Tu apprendras avec le temps que chaque homme est doté à sa naissance d'un trésor qui n'est pas forcément composé de monnaies sonnantes et trébuchantes. Souvent l'essentiel réside dans l'illusion et le rêve. Parfois, l'apparence prime sur la réalité. Alors, pour atteindre cette sagesse d'esprit, il faut que tu emmagasines dès ton plus jeune âge, au plus profond de ton âme, toutes les graines de bonheur et d'amour partagées. Celles-ci germeront très, très lentement dans ton esprit sous l'impulsion de tes coups de cœur. Mais tu devras laisser passer les ans et connaître les formules magiques pour accumuler ces richesses. Le trésor dont je te parle est un ami qui te veut du bien et qui est en toi. Il stocke tes joies et les libèrera à ta demande sous forme d'énergies réparatrices.
- C'est compliqué, Grand-père, parle plus simplement. Tu as dit : les formules magiques. Il y en a plusieurs ?
- Il y a deux clefs pour ouvrir ton cœur : l'une pour amasser et stocker les richesses de l'esprit, et l'autre pour les libérer et embellir ta vie.
- Donne-moi ces clefs, Grand-père. S'il te plaît.
- Ceci est un secret. Un secret de famille que tu devras protéger et ne le confier à personne.
- Je serai muet comme une carpe, Grand-père.
- Alors écoute bien. Pour récupérer la première clef, pense très fort au partage, car l'ami qui est en toi aime la générosité et saura te le rendre. Ferme les yeux, respire longuement et chuchote à ton nouvel ami ces quelques mots griffonnés sur un papier qui devra rester cacher au fond de ta poche :

Ô mon cœur, reçois cette graine d'émotion
Amasse et stocke la beauté de cet instant
Pour que demain et plus encore au fil des ans
Tu me donnes la lumière dans mes actions.

N'oublie pas de le remercier !
- Et la deuxième clef, Grand-père ?
- Oh, pour la deuxième clef, tu as encore le temps car c'est celle des grands.
- Je suis grand. Regarde !
- Bien sûr, mais pas suffisamment pour interpeller ton ami avec cette deuxième clef.
- Quel ami, Grand-père ?
- Mais celui qui est en toi. Il est tout petit mais sa voix est celle de la conscience qui t'éclairera sur la réalité pure. Tu peux l'entendre. Fais-lui confiance. Il t'aide en éliminant le doute qui est en toi et ne laisse filtrer que l'amour. Il travaille énormément à sélectionner toutes les belles images de ta vie qu'il te restituera quand tu en auras besoin. Tu sais quand on est jeune on dit : "Quand je serai grand…" Mais quand on est vieux on dit : "Si j'étais jeune…" Alors cette deuxième clef te permet de recouvrer ta jeunesse d'antan. N'est-ce pas formidable de se retrouver avec ses copains d'enfance, ses amours, ses joies, ses enfants... Tu vois, la solitude n'existe pas, enfin je crois.
- Tu parles comme Gilbert Bécaud, Grand-père.
- Ah bon ! Ah oui, c'est vrai ! La solitude ça n'existe pas ! C'est ça ? Mais comment tu connais Gilbert Bécaud, toi ?
- Moi, je ne le connais pas très bien, mais à la maison il est numéro un au hit parade ! C'est de la folie grave avec Bécaud.
- C'est bien, Bécaud. J'ai d'ailleurs quelques disques de lui près de l'électrophone. Si tu veux…
- Ah non, non merci ! Tu ne vas pas t'y mettre aussi !
- L'essentiel est de trouver de l'énergie dans ce qu'on aime.
- Bein moi, c'est la techno, et je peux te dire que ça move !
- En français, s'il te plaît ?
- Heu, ça remue, quoi !
- J'aime mieux ça… Pff… ! Ça move ! Tu vois, c'est surtout de ton âge et une question de mode. Mais tu as raison, vis ta vie intensément pour ne rien regretter…

 

 

Une voix, forte mais attentionnée, volant dans les airs d'un couloir se fit entendre. C'était le papa de Thomas :
- Thomas, tu embrasses papi. On va rentrer.
Thomas s'accroche au cou de son grand-père, l'embrasse très fort et, s'approchant de son oreille, lui chuchote :
- Dis, tu me présenteras à ton ami de l'intérieur, Grand-père ?
- Oh ! Il te connaît déjà et souvent il me fait passer des instants merveilleux avec toi.
- C'est vrai ?
- C'est vrai.
- Tu me raconteras ? Juré ?
- Juré. Oh ! En partant, laisse la porte entrouverte, s'il te plaît.
- O.K. A dimanche prochain, Grand-père.

Thomas courut vers son père qui revenait du jardin et ne put s'empêcher de dire :
- Tu sais, Grand-père connaît Gilbert Bécaud et va courir sur la colline aux pâquerettes avec ses copains d'enfance.
- Bien sûr…Bien sûr…
- Oh ! J'ai oublié mes cartes de jeu "Deus" et ma casquette dans la chambre de Grand-père. Je reviens tout de suite.

Toutes les fins de semaine, quand le temps le permettait, le père de Thomas binait et râtissait la terre du potager. Il aimait jardiner cette terre qu'il connaissait si bien. Son enfance, bien sûr. Les fruits et légumes frais. Les odeurs. Les parfums des fleurs. Il portait toujours la même vieille veste de toile bleue aux manches trop courtes et délavée par des années et des années de lessivage. Elle restait au hit parade de son cœur mais je pense qu'aux yeux des voisins, il voulait montrer son antériorité dans le jardinage. Il faisait même des jeux de mots sur le potager… Tenez, celui-ci par exemple :

Si tu cultives longtemps l'amitié
Tu récolteras un bon pote âgé.

Pendant que son père entrait dans la salle de bains, Thomas s'avança vers la porte entrouverte et, dans le calme des lieux, il entendit clairement une voix suave qui murmurait :

Ô mon doux ami
Les événements anciens me rajeunissent
Mais les événements nouveaux me vieillissent
Alors laisse-moi, pour que je puisse vivre
Voir les instants de mon passé qui m'enivrent.
Je te remercie.

Après les embrassades et les au revoir dominicaux, Thomas et ses parents rejoignirent la voiture sans avoir oublié les incontournables pots de confiture préparés amoureusement par Grand-mère. Ah ! sa grand-mère !

 

 

La grand-mère de Thomas remplaçait inlassablement les pots de confiture car les papiers sulfurisés étaient bien souvent percés. Elle savait que Thomas était passé par là et jamais elle ne le gronda. Bien au contraire car les trous lui apprenait secrètement ce qu'il aimait. Elle avait ce doux sourire de connivence qui brouillait ses yeux de perles d'amour. Alors quand il se blottissait dans le nid douillet de ses bras protecteurs, il lui chuchotait ses confidences de complicité gustative : " La rouge… Au milieu… Elle était très, très, très bonne. Rien à voir avec celles de la cantine de l'école ! Tu devrais leur donner des conseils ! ". Il n'y avait rien pour elle au-dessus du très, très, très et il le savait. Dans ces instants les yeux de la vieille dame se brouillaient aussi et ses lèvres, d'une douceur extrême, se posaient sur le front de Thomas comme un remerciement duveté. Le secret des confitures ! Ils étaient complices ! Elle était fière de sa gourmandise qui lui donnait une notoriété insoupçonnée sur la préparation de ces nectars de fruits. Il était le dégustateur privilégié ! Oui privilégié et incontesté à ses yeux, car la bouche d'un enfant n'est pas encore altérée. Souvent, elle testait d'autres recettes et attendait avec impatience la visite du petit au garde-manger dans la cave mansardée à l'ancienne. Elle constatait alors la grandeur des trous dans les papiers glacés et sulfurisés. Plus les trous étaient évasés, meilleure était à son goût la confiture ! Meilleure était la recette et elle le savait. En quelque sorte, Thomas était le maître absolu dans le choix des confitures à préparer ou à renouveler. C'est un peu grâce à lui, grâce à ses dégustations clandestines que grand-mère était considérée par toute la famille comme la reine de la confiserie.
Enfin… On lui laissait croire.

Le papa jardinier enclencha une cassette de Monsieur 100 000 volts et machinalement Thomas se retourna pour regarder par la lunette arrière la maison de Grand-père et de Grand-mère. La voiture, une belle DS des années soixante, s'éloignait quand il vit derrière la grande fenêtre ouverte du rez-de-chaussée, son Grand-père, une main levée dans la brise vespérale qui gonflait les voilages. Alors qu'il caressait le vent de sa main fragilisée par les ans et lui souffla ce message : "N'oublie pas, je suis toujours avec toi ". Alors, pour ne pas oublier cette image pleine de tendresse et de douceur, il tira du fond de sa poche les mots secrets de son grand-père. Il ferma les yeux, respira profondément, et dans le parfum des confitures, il interpella son nouvel ami :

Ô mon cœur, reçois cette graine d'émotion
Amasse et stocke la beauté de cet instant…

Mais comme un écho venant à contre-courant, porté par les rayons d'un soleil couchant, il entendit la voix de … de … de son père ! Il disait :

Pour que demain et plus encore au fil des ans
Tu me donnes la lumière dans mes actions.

 

 

Bien des années se sont écoulées. Thomas pense encore et toujours à son grand-père et à sa grand-mère d'amour, quand sur un vieux papier froissé, il dessine la beauté du jour, relit les instants aimés de son passé et regarde en souriant ses enfants sucer leurs doigts devenus sucrés. Aujourd'hui, il sait que nos chers aînés à la chevelure blanche sont des traits d'union entre la vie et l'autre monde. S'ils voyagent parfois dans les nuages c'est pour mieux percevoir le chant mélodieux des messages édulcorés de nos Dieux Alors, si un jour vous les apercevez, là-haut sur la colline, ébouriffés et marchant sur les verts tapis fleuris, sachez qu'ils cueillent dans le vent des bouquets de mots aux douces pensées de paix. Nos chers aînés aimés restent éternels dans nos mémoires et nous emmènent encore et toujours dans les jardins secrets des délices de l'imaginaire pour apaiser nos angoisses et nos colères passagères.

Un jour, peut-être, le ciel sera mon ami, mon épouse fera des confitures et j'irai là-haut sur la colline cueillir des mots aux mille senteurs de paix.

Jean-François Grégoire

 

Grand-père ch'ti d'esprit

Une belle rencontre à Trith-Saint-Léger

 

   

 

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