Souvenirs d'Armand Delgrange

 

Le poids de la mémoire historique

 

 

Quelques années avant sa mort, Armand Delgrange, ancien déporté, nous avait laissé ce témoignage sur cette période de sa vie.

 

Comment avez-vous été arrêté?

Par la police française.
J'avais deux petites filles qui n'avaient pas deux ans à elles deux, Louise et Colette.
Un matin, à 7 heures, on a frappé à ma porte. Je me doutais de ce qui allait arriver.
Les policiers sont entrés, ils ont tout fouillé et saccagé comme des vandales. Ils ont trouvé de l'argent, car j'étais chargé de porter des secours aux familles des camarades arrêtés.

Devant ma femme et mes enfants, les policiers ont dit : "Attention, si tu bronches, on te tire une balle dans les pattes".

J'ai fait 17 prisons et camps de concentration.
A Douai, je suis passé devant la cour spéciale, et j'ai été condamné à 5 ans de travaux forcés.
J'ai été embarqué avec des chaînes aux pieds, comme un bagnard... la tête rasée...
A la gare de Douai, deux wagons nous étaient réservés, afin de nous conduire, mes camarades et moi, à la prison de Fresnes où je suis resté 21 jours.
Là-bas, les fenêtres ne fermaient pas... il neigeait sur la paillasse...

Ensuite, j'ai été emmené au bagne de Fontevault, comme un bandit !
On nous a fait mettre nus dans la cour, en plein hiver.
J'ai dormi dans une baraque à chien. Je n'ai eu des vêtements que le lendemain matin. Je suis resté au bagne 7 mois. Puis un matin, à 5 h. on est venu me chercher.
Quinze jours avant, les cheminots de Tours avaient été fusillés.
Je me suis dit : "ça y est, c'est mon tour..."
Nous étions 19 du Nord-Pas-de-Calais, parmi lesquels un garçon de 15 ans.
On nous a rassemblés dans une grande salle, mals nous n'étions plus que 18.
Nous nous sommes mis alors à crier tout ce que nous avions sur le coeur, pensant que nous allions être fusillés : "Vous n'êtes pas honteux, vous gardez les Français, pour les livrer aux Allemands".
Les gardiens de prison nous répondaient en évoquant leur situation professionnelle, alors que parmi nous, il y avait des avocats, des architectes, des médecins qui avaient tout perdu.
Nous avons été emmenés à Loos, et nous avons appris qu'un soldat avait été poignardé à Lens, nous servions d'otages.
Vingt-quatre heures avant la date de notre exécution, les Allemands se sont aperçus que le soldat en question avait été tué par un autre Allemand, à cause d'une histoire sentimentale.

Durant huit jours, nous avons été condamnés à mort et, croyez-moi, le bruit des clés dans la serrure devient alors atroce et insoutenable.
Ensuite, nous avons été emmenés au centre d'otages de Louvin en Belgique où plusieurs d'entre nous furent fusillés, ils sont partis en chantant...
Un soldat allemand a jeté son fusil et s'est mis à pleurer... en maudissant la guerre.
Moi, j'étais malade, je faisais une pleurésie. J'ai donc été emmené à I'hôpital militaire de Louvin puis celui de Lille.

 

Aviez-vous des nouvelles de votre famille?

A Lille, ma femme venait me voir, mais en prison, je n'avais aucune nouvelle.

Après mon hospitalisation, j'ai été emmené à la "citadelle de la faim".
Je ne reconnaissais même plus mes camarades qui ressemblaient à de vrais squelet tes.
J'ai partagé les provisions que j'avais gardées de I'hôpital.
J'étais dans une cellule avec un professeur d'université catholique.

Ensuite, j'ai été emmené en Hollande par les SS.
Là-bas, le jour de l'anniversaire de l'armée rouge, protégé par trois camarades, j'ai gravé la faucille et le marteau sur une pierre.
Le lendemain, un Belge m'a dénoncé au commandant qui, fou furieux, a convoqué la sentinelle concernée.
Ce soldat allemand ne m'a pas reconnu, ce qui m'a étonné...
J'ai su par la suite qu'avant la guerre il était membre du DKP, le parti communiste allemand.

Le lendemain, nous sommes passés à la désinfection avec des lances de pompiers.

Le jour de Noël 1943, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, nous sommes restés debout dans la neige. Les SS se relevaient toutes les heures pour nous surveiller.. .
Il y a eu 400 morts au moins ce jour-là.
Nos journées, nous les passions à travailler. Nous mangions de la sciure mélangée avec de la farine.
Nous dormions sur des grillages superposés. Nous travaillions 12 heures par jour plus 2 heures d'appel et le temps passé à aller chercher de l'eau.
Chaque matin, il y avait 15 ou 20 morts dans un baraquement qui contenait 300 prisonniers.
J'ai traîné un camarade pendant trois jours avant qu'il ne meure...

Les SS tuaient n'importe qui, n'importe où, n'importe comment . Ils s'amusaient, comme on tire un carton à la ducasse.

Après la Hollande, je suis parti pour Dachau, où je travaillais dans un tunnel, sur un tour.
Un outil cassé, c'était la trique, 3 outils cassés, c'était considéré comme du sabotage et puni de pendaison.

  

Vous ne pouviez correspondre avec l'extérieur?

Absolument pas.
D'ailleurs, toute ma famille me croyait mort !

De Dachau, j'ai été transféré en Bavière, et là je suis passé à deux doigts de la mort ! J'étais épuisé.
Pendant une alerte, je travaillais dans un champ de pommes de terre et une balle m'a frôlé.
Nous avions ensuite marché pendant 2 jours et 2 nuits, pour arriver dans une grange où les SS nous ont enfermés. Les alliés étaient proches.
Les SS ont hissé le drapeau blanc, et nous avons été libérés.

 Les Soviétiques étaient là avec des médecins, des ambulances pour nous ramasser.
Je suis resté 5 jours sans être secouru car il fallait venir en aide aux plus atteints.

J'ai été transféré ensuite à la caserne d'Ulm où je suis resté peu de temps.
J'ai été rapatrié ensuite par camion jusqu'à Nancy, puis en train jusqu'à la gare de l'Est à Paris où il y avait foule. J'ai été dirigé vers l'hôtel Lutécia.
Le lendemain, je suis revenu à Valenciennes.
Je n'ai jamais versé une larme... sauf quand j'ai revu mes enfants...

 

 

Tiré de "Trith St Léger, notre commune de 1170 à nos jours"
Service d'Information de la ville de Trith St Léger / 1988

 

 

 

 

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