Prédication du dimanche 2 février 1997

 

La personne de saint Léger (616-678)

 

 

 

l'église protestante de St Légier-La Chiésaz

 

 

Lectures : Jean 3, 11-18 / Matthieu 5, 38-48

Les saints sont toujours des gens étonnants. C'est d'ailleurs pour ça que l'Eglise les a nommés saints, justement. Comme pour dire : attention ne vous y trompez pas, voilà quelqu'un de pas ordinaire, et même d'assez exceptionnel dans son genre.

Mais pour les protestants tout spécialement, les saints sont des gens vraiment bizarres. On ne sait pas trop qu'en penser, on les regarde un peu comme des Ovnis. On ne s'en occupe pas trop : tout ça, c'est encore des combines de catholiques. Nous, on a Jésus, et Jésus nous suffit, on n'a pas besoin des saints en plus.

Et si on y allait voir d'un peu plus près, ce matin ? Car nous vivons dans un village qui porte le nom d'un saint. Et pas très connu, le bougre ! Qui est ce saint, et qu'a-t-il fait pour que notre village porte son nom ? Il faut bien avouer que c'est pour la plupart de nous une énigme.

Mais une énigme, ça peut aussi nous titiller, nous donner envie d'aller y voir de plus près. D'ailleurs, l'énigme déjà est là physiquement, archéologiquement, au coeur du village. Car la toute première chapelle dédiée à St-Léger a aujourd'hui disparu sans laisser de trace. Où se trouvait-elle ? Mystère sur toute la ligne. Il n'en reste que le nom du lieu-dit : Sur-la-Chapelle, entre le Tirage et le chemin de Champ-aux-Lièvres.

L'énigme est grande, et l'envie est là de chercher à comprendre, de chercher à connaître ce personnage. Qui était-il, qu'a-t-il fait pour mériter ce titre de saint, et surtout, qu'est-ce que ce personnage peut m'apprendre à moi ? Et peut-être qu'à travers lui je pourrai comprendre quelque chose de la foi.

Disons que St-Léger a vécu une foi très profonde à une époque où les conflits politiques étaient très compliqués et très nombreux. Pendant un temps, il a fait partie du gouvernement politique, pendant un temps il a même été évêque de la ville d'Autun. Il a dû s'exiler ou on l'a exilé dans un monastère. Il s'est retiré de la vie publique, puis il y est revenu, avant d'être progressivement éliminé par ses ennemis, jusqu'à être assassiné.

Disons que c'était un homme qui a été confronté quasiment toute sa vie à la cruauté, et au désir de pouvoir qui va jusqu'au meurtre pour arriver à ses fins. Il a surtout été confronté à un ennemi farouche qui s'appelait Ebroïn. St-Léger a eu son heure de gloire, mais il a aussi connu de profondes souffrances, puisque deux ans avant sa mort, sur l'ordre d'Ebroïn, on lui a déjà crevé les yeux et coupé la langue, avant de l'exiler.

 

l'église protestante de St Légier-La Chiésaz

 

St-Léger a donc connu une vie mouvementée et difficile, mais ce qui a frappé ses contemporains, c'est la manière dont il a gardé toujours cet enracinement dans la foi, qui lui a permis de traverser en chrétien toutes ces difficultés.

Il s'est toujours opposé à l'emploi de la force, même quand ses ennemis s'acharnaient contre lui. Il a toujours refusé de rendre le mal pour le mal. En termes modernes, on dirait que c'était un non-violent, et qu'il l'a payé de sa vie.

Et il en faut de la foi, pour résister au mal sans rendre coup pour coup ou insulte pour insulte. Et là encore, nous sommes face à une énigme, mais une énigme de la foi. Quelle sorte de foi faut-il vivre pour la mettre en pratique jusqu'à ce point-là ?

Nous avons nous aussi entendu ce matin ces récits de Matthieu qui nous invitent, face au mal, à tendre l'autre joue et à aimer ses ennemis. Et nous pouvons légitimement ressentir cette même incompréhension : comment est-ce possible? Quelle sorte d'hommes Jésus nous demande-t-il d'être là ?

Ce sont des enseignements de Jésus qui sont assez radicaux. Et pourtant, le christianisme, c'est aussi ça. Ça dérange, ça peut nous mener loin. La foi en Christ, ça va jusque là !

Mais comment est-il possible de ne pas résister au méchant ? La tendance naturelle, c'est plutôt de se défendre, nous le savons tous, nous sommes tous comme ça. Répondre à l'insulte par une autre insulte, à une attaque par une autre attaque. Aboyer et mordre. Ne dit-on pas que la meilleure défense, c'est l'attaque?

C'est à la mode, aujourd'hui, il faut se battre, tout le temps. Le saint de la société d'aujourd'hui, c'est ce qu'on appelle le battant. Alors ? Alors, nous voilà devant un St-Léger qui ne se bat pas, qui en voit des vertes et des pas mûres, et qui rend grâce à Dieu même dans la souffrance. Il faut être fou.

Peut-être qu'il faut être fou pour être chrétien ! Peut-être...

Mais si je réponds au mal par le mal, je ne fais qu'augmenter le mal. C'est la spirale sans fin, le cercle vicieux dont on ne sort jamais. La violence entraîne la violence, et ainsi de suite: la colère entraîne la colère, la vengeance une autre vengeance, jusqu'à ce qu'on ne sache même plus pourquoi on s'assassine...

St-Léger s'est trouvé en face d'un homme de pouvoir, maire du palais, homme violent et cruel, c'était Ebroïn. C'est lui qui a fait mutiler puis assassiner St-Léger. Mais à cet ennemi personnel, il n'a pas rendu le mal pour le mal (oeil pour oeil, dent pour dent). Il a cassé le cercle vicieux de la vengeance. Il a su tendre l'autre joue. Passage bien connu de l'évangile, mais ô combien difficile à mettre en pratique.

Tendre l'autre joue ? Pourquoi ? Parce que c'est la seule manière de ne pas résister au mal par le mal. Et en plus, ça met l'autre face au mal qu'il fait. Il peut se voir tel qu'il est, il est percé à jour. L'attitude de non-violence va toujours pointer le doigt sur la violence. C'est comme un miroir. Le coléreux va y voir sa colère. Le violent va y être mis en face de sa violence ; et c'est souvent cela qu'il ne pourra pas supporter.

La joue tendue joue le rôle d'un révélateur, d'un miroir; ce n'est pas une preuve de masochisme de la part du chrétien. Le masochisme, ce serait de tendre deux fois la même joue. Mais tendre l'autre joue, c'est proposer un changement, laisser à mon adversaire, après l'offense, la chance d'un redépart. Laisser une porte ouverte. Permettre à l'autre de ne pas frapper encore une fois.

Mais qu'il est difficile de tendre l'autre joue ! On a beau se raidir, serrer les dents, ça nous paraît hors de portée. Et c'est vrai qu'on n'y arrivera pas par un simple effort de la volonté. C'est un geste au-dessus de nos forces, comme d'aimer nos ennemis. On ne peut pas se contraindre à vivre ça, même avec la meilleure volonté du monde. Nous demander de tendre l'autre joue, c'est pas humain !

Oui, pour être capable de faire cela, il faut vraiment l'avoir reçu de plus haut que nous. Je crois qu'à la base de tout ça, il doit y avoir un coeur qui est changé par Dieu. Il doit y avoir la présence de cet amour dont parle l'apôtre Jean, un amour qui vient de Dieu. Un amour tellement fort qu'il ne peut que nous être donné.

 

nouvelle vue de l'église protestante de St Légier-La Chiésaz

 

Et c'est là que St-Léger est un modèle de foi pour nous : il nous rappelle ce que Dieu peut faire aussi en nous.

En ce sens, nous sommes nous aussi appelés à devenir des saints, c'est-à-dire des gens que l'amour de Dieu transforme. Des hommes et des femmes qui portent leur foi chevillée au coeur. Une foi qui peut rayonner autour de nous, et briser la carapace dure et froide qui trop souvent nous entoure aujourd'hui.

Face à cette dureté, St-Léger a vécu, comme chacun est appelé à le faire, sa vocation. Il a vécu cet amour jusqu'au-boutiste, qui tend l'autre joue et qui aime ses ennemis. Qu'il ait pu se saisir de cette possibilité, de cette grâce offerte, c'est un rappel pour chacun de nous.

Alors nous pouvons mieux comprendre ce que peuvent être des saints aujourd'hui pour nous : des modèles dans la foi, comme des bornes que Dieu a placées dans l'histoire pour nous donner l'exemple d'une foi vécue. St-Léger et les autres, ce sont des poteaux indicateurs, suggérant dans nos difficultés l'exemple à suivre ou la route à emprunter.

C'est cette qualité d'être qui nous frappe tellement chez les saints ; et pourtant, cette qualité d'être, cette qualité d'amour-là, nous sommes appelés à les vivre nous aussi ! Nos coeurs sont appelés à se dilater, à vivre d'un amour plus large, et à faire jaillir la lumière autour de nous.

Cette lumière de la foi que St-Léger a su transmettre, elle nous est offerte encore aujourd'hui. Puissions-nous la transmettre à notre tour. 

 F. Rosselet
Eglise protestante de St Légier la Chiésaz (Suisse)
le 2 février 1997

 

 

 
 "Vie de Saint Léger, Evêque d'Autin"
par un moine de St Symphorien d'Autun qui vécut auprès du saint
La Vie de Saint Léger, évêque d'Autun
vers 980 - manuscrit de la bibliothèque de Clermont-Ferrand
 "Saint Léger - La Légende Dorée"
de Jacques de Voragine, nouvellement traduite en français - 1261-1266
 "De St Léger, évêque et martyr", par le R.P. Simon Martin
Les Nouvelles Fleurs des Vies des Saints - 1654
 "Saint Léger - 2 octobre"
Les Vies des Saints - 1724
 "Histoire de saint Léger, évêque d'Autun et martyr"
par le R.P. Dom Pitra - 1846
 "Saint Léger - son martyre - sa première sépulture à Lucheux"
par l'abbé Théodose Lefèvre - 1884
 "saint Léger, évêque d'Autun, martyr"
Imprimeur E. Petithenry, Paris - vers 1900
 "Vie de Saint Léger"
par le R.P. Camerlinck, de l'Ordre des Frères Prêcheurs - 1906
 "Léger, d'Autun"
par
Dom H. Leclercq - 1929
"Eléments pour une étude sur la diffusion du culte de Saint Léger"
parue dans "la revue du Bas Poitou" tome IV - 1971
 "Saint Léger - fête le 2 octobre - 3 octobre"
La Légende Dorée d'Autun, par Denis Grivot - 1974
"Saint Léger", par Denis Grivot,
Maître de Chapelle Honoraire de la Cathédrale d'Autun
 La prédication sur Saint Léger faite à l'église protestante
de St Légier la Chiésaz (Suisse) - 1997
 
 "Saint Léger, évêque d'Autun et martyr"
2 homélies du Père Alexandre, St Léger sous Beuvray - 1998 et 2003
 "Saint Léger, porte-parole des élites bourguignonnes"
tiré du Journal de la Bourgogne - 2002
 "le bon et la brute" ou "Léger contre Ebroïn"
sur le très joli site "Auxonne, capitale du Val de Saône" - 2009

 

 

https://www.stleger.info